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Publié le 15 Août 2013

Il y a des situations qui ne peuvent que s’écrire, parce que ces situations-là sont comme le pain, elles se partagent et si on ne les couche pas sur papier, comme le pain, elles rassissent ou pire, moisissent et c’est un beau gâchis.


 

Mardi 13 août 2013.

Je n’écris plus.


Pourquoi ? Parce que je suis condamnée depuis près d’un an à un moche ordinateur sans touche espace. Dira-t-on jamais assez la valeur de l’espace dans une phrase?

Au commencement, il y a le mot... Tu parles. Qu’est le mot, sans l’espace blanc dans lequel il  s’inscrit ? Bon, j’arrête là, je ne vais pas faire ma philosophe quand chaque mot me coûte et que mes doigts déjà s’engourdissent.


Je reprends. Mardi 13 août.

Oui, je sais, je suis une idiote. Qu’est-ce que j’attends pour reprendre la  situation en mains, changer de machine, revenir aux stylos, que sais-je ? La petite histoire qui suit est une parfaite réponse à cette question.


 

Mardi 13 août.

On va y arriver.

J’enseigne à Rishon, ce soir. Mon frère est là, en Israël,  en visite de France avec ses délicieux enfants. Mes enfants, qui adorent leurs cousins, sont à la fête. Et ma cousine Sabine de Ramat Gan a organisé ce soir une petite soirée chez elle, pourquoi petite, telle que je la connais, elle a mis les petits plats dans les  grands, les quiches dans les tourtes, même, et je ne veux pas priver mes enfants de cette joie pour la seule bête raison que je travaille le soir et que je ne suis pas disponible. Alors, gandiose, magnanime, je leur ai laissé la voiture et je suis allée à Rishon en autobus.

Quoi ? Au pire au pire, je peux toujours prendre un taxi, me suis-je pensée. Mais vraiment au pire, parce qu’entre Holon et le Cinema City de Rishon, il y a en tout et pour tout une longue avenue. Cinq, six stations. Ma station d’autobus est toute proche de chez moi, j’espère juste que l’Université sera proche de la station terminus de la ligne. Parce que mon sac de cours pèse une tonne, j’y ai enfourné quantité de livres dont nous avons parlé et que j’ai promis d’apporter aux étudiants.

Bon, tout se déroule au mieux. En une vingtaine de minutes, je suis rendue, Cinema City est bien en face de l’Université ouverte, tout bien, mon cours se passe à merveille, mes étudiants sont des gens charmants et à 9h, me voilà guillerette sur le chemin du retour.


Près de la station d’autobus, il y a un magasin de légumes encore ouvert, j’y fais une pause, histoire de m’alourdir de 4 kilos de magnifiques tomates bien rondes et rouges, concombres en fleurs et raisins noirs sucrés. Quoi, je suis à la station d’autobus et tout est sous contrôle. Non ?

Non. Car la station terminus d’autobus est totalement obscure, comme fermée, comment est-ce possible et les autobus y ont l’air totalement hors service. D’ailleurs, la zone entière semble avoir commencé sa nuit. Je regarde autour de moi et un peu plus loin, sous un réverbère, à la station suivante, qui n’est pas si loin, une vingtaine de personnes attendent. Ouf. En route ! Je commence un peu à regretter le raisin.


Je m’assois parmi les autres et patiente un moment. Avant de regarder le panneau d’affichage de plus près. Aucun  numéro d’autobus connu. Je demande à ma voisine, c’est bien ici, pour Holon ? Non, c’est à la station suivante. Ah merde. A la station suivante, je regrette aussi les concombres, et les numéros d’autobus sont rigoureusement les mêmes qu’à la station précédente. C’est quoi, ce bintz ? D’autant que numéro connu ou pas, il n’y a pas un bus à l’horizon, ni un taxi, une merveille. A la station d’après, je réalise que je n’étais pas dans la bonne avenue, la voilà mon avenue qui s’étire jusqu’à chez moi.


Epuisée, je m’assois sur le parapet. Mes tomates feront une belle sauce, mais rien d’autre, je le crains. Deux personnes attendent là. Et voilà un bus. Par acquis de conscience, je lui demande Holon ? Non, Ashdod. Quoi Ashdod, quel rapport, mais Holon est au bout de cette rue. Peut-être, mais moi, je tourne là, dit le chauffeur en haussant les épaules.

Mmmm. Les tomates, je vais peut-être finir de les écraser tout de suite, là, pour me calmer. Mais voilà un taxi qui passe, s’arrête. Je m’y installe et questionne pour la forme. Tu acceptes de m’amener au bout de la rue ? Il me toise, avec mon énorme sac qui déborde de fruits. Oui, mais ça te coûtera 30 shekels.

30 shekels ? Pour 600 mètres ? Tu rigoles ? Oui, parce que je suis devenue une vraie israélienne. Mets ton compteur en route. Ah non, pas le compteur. Pas de compteur, pas de course et très digne, je le plante là. Non mais.

Israélienne mais pas trop. Parce qu’une israélienne,  une vraie, lui aurait mis la tête comme un compteur, à cet escroc, et ne serait sûrement pas descendue de son taxi. Mais le panache est un truc auquel je ne suis  pas prête à renoncer. Donc quand on a fait la belle et prononcé des phrases définitives, il faut ensuite claquer la porte et s’éloigner d’un pas souverain. Je n’y dérogerai pas, et ma purée de tomates n’a qu’à bien se  tenir.


Les deux personnes qui attendaient avec moi tout à l’heure sont montées dans le bus d’Ashdod. Je me trouve à présent seule et fière, au beau milieu d’une zone commerciale sordide dont tous les magasins ont fermé. Il faut dire qu’il est  près de 10 heures.

Je pense avec rage, je ne vais quand même pas y passer la nuit, il faudrait que j’achète une poussette, une moche poussette de vieille à carreaux ou à fleurs, qu’importe, mais débarrassée de ce poids qui m’épuise, je ne suis qu’à 30 minutes de marche de la maison et tous les autobus et tous les taxis du monde pourraient aller se rhabiller. Si seulement... Mais la station d’autobus déserte se trouve entre un parking de grande surface désert et une station essence déserte aussi. Aucun marchand de poussette ni de quoi que ce soit à l’horizon. La zone est totalement abandonnée.

Enfin presque abandonnée. Car là, tout triste, tout seul, un pauvre caddie me sourit timidement en croisant ses roues.

Et je ne sais pas ce qu’il me prend. Je jette un oeil à droite, un oeil à gauche, je balance mes affaires dans le caddie et je m’engage légère et soulagée sur l’avenue. J’ai quoi, après tout, une demie heure de marche.

Je libère les tomates de mon sac. Puis les concombres, puis le raisin.

Je contemple mon énorme sac de livres, les sacs de l’épicier, mon sac à main dans le caddie et je m’étonne. Comment, mais comment pouvais-je transporter tout ça sur mon dos ? Je souris toute seule. Je me gronde un peu, aussi. Je ne l’ai pas vraiment volé, ce caddie, puisqu’il n’était plus sur le périmètre du magasin, mais quand même. Si j’en ai le courage, je le ramènerai plus tard à ses propriétaires. La vie est belle.

Je ne marche pas, je danse. J’ai de la musique dans la tête. Ma jupe vole sur mes mollets.

Je ris de me voir si dégourdie en cette avenue.


 

A mi chemin, il y a un petit épicier de nuit. Le trottoir à son niveau est très éclairé et encombré de voitures. Cette manie des gens de se garer au plus près, toujours. S’ils pouvaient entrer dans les magasins, ils feraient les rayons au volant, les crétins. Comment je passe, moi ?

Mais je suis un pilote. Et je ne suis plus à un challenge près ce soir. Je me prépare à négocier le passage au centimètre, quand je sens mon pied s’envoler. Quoi encore ? La lanière de ma sandale vient de casser, comment est-ce possible, mais quelle horreur ! Sur cette rue ensablée comme toutes les rues de cette ville des sables et s’il y a une chose que je déteste, c’est bien ça, le sable dans les chaussures. Berk. Je fais comment, moi, maintenant ? Eh merde...

Je contourne tant bien que mal les imbéciles voitures si mal garées, et sautille  vers le banc tout proche où je vais étudier la question de ma chaussure.

J’entends alors derrière moi une voix qui vocifère : Tu as vu ce que  tu as fait à ma voiture ? Je me retourne, interdite. C’est l’épicier qui arrive en courant. Non, mais, tu n’es pas  malade de me parler comme ça ? Je ne l’ai pas touchée ta voiture, qui n’a rien à faire là, si tu veux qu’on en parle. L’épicier s’arrête, stupéfait, et un israélien en colère qui s’arrête, stupéfait, ce n’est pas normal du tout, c’est la réflexion que je me fais alors que le copain du premier arrive à la rescousse, je l’ai vue, elle l’a rayée là, non mais vous êtes des fêlés ou quoi, je n’ai pas touchée cette voiture, jusqu’à ce que le troisième larron arrive et me dise tout va bien, tout va bien, bonne soirée. Je suis tentée un moment de la leur raconter, ma soirée, mais ma lanière cassée me gêne et j’ai hâte d'aller m’asseoir.

C’est alors que je réalise. Je marche seule, de nuit, en poussant un caddie encombré de sachets plastique, et j’ai une chaussure cassée. La situation ne peut pas être plus gênante. Ah bravo. Encore heureux qu’ils se soient fâchés, ces idiots d’épiciers, sinon, ils me donnaient une pièce...

Débarrassée des idiots d’épiciers qui ont réintégré leur échoppe en se demandant probablement depuis quand les pochardes israéliennes avaient l’accent français, j’ai considéré ma chaussure avec consternation. Bon, la lanière côté orteils était cassée et bien cassée. Avec quoi la tenir ? Il n’y avait pas douze mille solutions. Au point où j’en étais. J’ai récupéré le sachet plastique du raisin qui était dans une boîte et je l’ai solidement noué autour de ma semelle. Pourquoi, mais pourquoi les sachets de fruits sont-ils toujours de couleurs si voyantes et inesthétiques ?


 

Un bus a bien essayé de passer,  inutile et mesquin, mais le sort de la soirée était jeté. Pour me donner bonne conscience, j’ai déposé le caddie à côté d’un supermarché sur mon chemin. Parce que le ramener dans le contexte... Même pas en rêve.

A dix heures trente, j’étais au frais chez moi. J’ai enlevé mes chaussures, l’intacte et celle avec le gros noeud en plastique jaune et j’ai plongé mes pieds dans une bassine tiède tout en me servant une glace.


 

J’ai vu alors sur la  petite table les clés de la voiture avec un petit mot qui disait, Maman, finalement, Julie ne veut pas venir et Pauline me rejoindra sur place, donc j’y vais en scooter.

 

 

 


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Rédigé par Victoria

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Publié le 19 Août 2012

 

 

Mireille au bras levé

 

 

Le fait est que j'ai cessé d'écrire depuis un an, ou presque.

Douze mois perdus...

 

On fait difficilement plus stupide.

 

Oh, bien sûr, j'ai des circonstances atténuantes.

A commencer par ce  stupide ordinateur qui n'a pas supporté le déménagement, parce que moi, peut-être ça me fait plaisir de déménager tous les ans.

Hier encore, le Ytsik du moment est venu à la maison pour une broutille, un robinet rongé par la rouille dans le jardin et il est resté en admiration devant la verdure et les coussins et les fleurs. "La belle maison que je te loue", n'a-t-il pas pu s'empêcher de susurrer. J'ai eu beau rétorquer, tu plaisantes, j'espère, ce n'est pas la maison qui est belle, c'est ce qu'on en a fait, le jardin que tu regardes est entièrement en pots, tu remarques ? et il va falloir qu'on reparle de l'électricité, tiens, mais après les fenêtres, parce que les fissures, ça n'est drôle que tant que le hezbollah reste dans son coin, tu vois ce que je veux dire ? il a ri, et j'ai très nettement vu rouler les dollars dans ses yeux. Et merde...

 

L'ordinateur, disais-je.

Devant l'impossibilité de le rallumer dans la nouvelle maison, j'ai fait appel à  un MacGyver local qui m'avait été chaudement recommandé... par l'installateur télé, le premier qui se moque... en a bien le droit, lequel m'a ramené tout fier au bout de trois jours le PC en disant, chérie, ton engin est comme neuf.

J'ai ri nerveusement, neuf, neuf, c'était quand même pas le but, tu as bien tout récupéré, n'est-ce pas ?

Parce que l'idiote que je suis n'avait pas sauvegardé depuis... depuis un certain temps, pas très long, certes, mais je travaillais si vite à l'époque que pas très longtemps, ça faisait quelques histoires, argh, il ne faut plus y penser, et donc McGyver a ouvert le bureau et il avait tout récupéré dans les limbes de la machine, une quantité indécente de photos et de films, tout, sauf mes textes et mes dessins.

Les dessins, hônnetement, pas si grave, j'ai les originaux, soit, n'est perdu que le temps de travail pour quelques centaines de scans... Rearghhhh.

Mais les textes.

 

Impossible à digérer. Il y a un chevalier dans les siècles passés qui perdit, lui, les 20 volumes de son encyclopédie dans un naufrage, ... bizarre, pas moyen d'en retrouver la trace sur internet, l'histoire de ce  chevalier était pourtant dans un de mes textes, je suis formelle et je ne l'avais pas inventée, ... allons, allons, il faut que j'arrête de me torturer comme ça. J'ai déjà fait aux enfants le coup du malaise et ambulance et hôpital, le ridicule achevé, c'est bon là. On se reprend.

 

Mes textes semblent donc perdus.

Les RG récupèrent des générations de données sur des engins compressés par des espions soucieux de faire disparaître des données compromettantes, et mes malheureux petits textes, compressés par un Pinhas holani, ingénieux, certes, mais tout de même, mes textes à moi, sont perdus.

 

Après avoir bien pleuré et m'être un peu laissée aller, j'ai dit, bon, pas grave, je les réécrit, ces textes perdus, quoi ?

 

Mais comme je garde au fond de moi l'espoir qu'un jour, peut-être, je récupèrerai quelques lignes, l'ordinateur a été mis en quarantaine et je dois me contenter d'un petit portable souffreteux, que je déteste, sur l'écran duquel je ne vois rien, et qui m'a fichu un mal de dos de vieille rien que pendant que je jouais au mahjongg.

 

Ah oui, parce que je me suis mise au mahjongg, ce crétin jeu d'appariement soi-disant à l'image du monde, comme si le monde était un tant soit peu apparié, laissez-moi rire.

 

La régression totale, quoi.

 

Et c'est alors que j'ai pensé.

Et si je m'y remettais pour de bon ?

Si j'essayais vraiment de retrouver un des textes, un dont j'ai conservé le début, par exemple, et pour lequel le récit devrait couler, forcément couler ?

 

Et si je m'obligeais à le faire en pleine lumière ?

Sans compter que saisi de cette manière, Pinhas peut toujours compresser le texte...

 

Bon.

Je commence demain.

 



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Rédigé par Victoria

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Publié le 30 Novembre 2011

 

 

 

 

 

 

 

Rose

 

 

  

 

     Lorsque j’étais adolescente, lors d’un voyage américain à la frontière canadienne, j’ai été traumatisée par les ongles d’une jeune femme superbe qui avait déjeuné avec nous. Ces ongles, parfaitement manucurés, étai    ent extrêmement longs, taillés, polis, vernis, et ils étaient en outre troués de piercings brilla nts, probablement des diamants.    

     Immonde.


    D’autant plus immonde, d’ailleurs, que nous nous trouvions dans une espèce de réserve à langoustes et qu’on nous a amené à chacun une bête et une paire de pinces métalliques, histoire j’imagine que le combat soit égal. Et la vision des doigts agiles de l’américaine qui s’activaient à dépecer la malheureuse langouste avec cette pince sous le miroitement des diamants avant de porter délicatement les morceaux de chair à sa bouche gourmande entre deux ongles souillés est restée pour moi une image cauchemardesque.
   
    Le dégoût absolu.
    Pour les langoustes. Pour les pinces. Et pour les ongles américains.

    Je n’ai jamais revu ni langoustes ni pinces, mais je vis depuis quelques années en Israël, royaume incontesté des ongles américains, posés par des russes, mais c'est un détail et je peux dire que j’ai eu un mal fou à m’y faire.

    Peu de diamants, il est vrai, mais une débauche de formes et de couleurs du plus mauvais goût.

    Les ongles biologiques sont dans un premier temps polis et vernis, puis on y applique une sorte de panneau de résine rectangulaire, que dis-je rectangulaire, trapézoïdal sur lequel les artistes-manucures laissent libres cours à leur imagination.
Artistes, je pèse mes mots. Allez réaliser une œuvre sur un si petit support. Et reproduisez-la dix fois. Enfin, autant de fois qu’il y a de doigts. Deux heures de travail au bas mot. Avec après chaque ongle, la commanditaire qui lève sa main vers la lumière en s’extasiant « zé maksssssim ». Le travail est aussi immense que le résultat est pitoyable. Et je peux vous assurer que point n’est besoin de langoustes pour exacerber le sentiment de répulsion fascinée qui saisit tout un chacun à la vue de ces mains vampirellaïsées.

    Pas un bureau qui ne bruissent sous l’ écho sec des résines peintes sur les claviers. Tu as soigneusement étudié ton argumentation auprès de je ne sais quel ministère, tu t’es préparé psychologiquement à argumenter et tu te retrouves face à une mégère qui susurre « téouda mazza » en tendant au bout de sa main cinq roses ensanglantées dans un buisson d’épines vertes. Berk. Un parfait cauchemar. Tu m’étonnes que tu perdes tes moyens.

    Le concept se décline aujourd’hui en version ronde, mais aussi en version pointue, tu oublies que tu as tes ongles, tu te grattes l’oreille et c’est la perforation du tympan assurée. Freha aux mains d’argent. Reberk.

    Comme souvent, je suis injuste. La première nausée passée, j’ai réfléchi. J’ai réalisé que d’un point de vue purement éthologique, ces ongles-là étaient le symbole le plus extraordinaire de la libération de la femme israélienne. Ces ongles là hurlent, est-ce que j’ai une tête à faire la vaisselle ou à éplucher des patates ? Ces ongles-là ne pétrissent aucun pain, re roulent aucun couscous, ne forment aucune boulette, ils n'essorent aucune serpillière et n'approcheront jamais aucun flacon d'économica*. Ce sont tout simplement des ongles révolutionnaires, des ongles libérateurs, des ongles libres. Des ongles qui n’ont que faire de l’aspirateur ou du linge à étendre. Des ongles qui affirment bien haut je suis femme, j’ai de l’art au bout des doigts et tu fais la queue comme tout le monde. Imparable.

    L’israélienne se reconnaît à ses ongles soignés de femme libre. L’élégante de Tel Aviv fera dans le sobre et arborera des mains french manucurées très discrètes, un simple filet de vernis blanc soulignant la propreté anguleuse de l’ongle, la délurée de Petah Tikva fera dans la couleur, avec une vraie palette au bout des doigts, une couleur par ongle, les excitées de Holon oseront le charme slave d’un paysage zen, petit lac bleu avec reflet vert et branche fleurie à la japonaise, ambiance, ce ne sont pas des ongles, ce sont des haïkus, la charmante d’Ashquelon osera le rayé noir et or, ambiance Toutankhamon, petit clin d’œil sans doute aux voisins égyptiens, la grâcieuse de Kfar Saba s’offrira un petit bouquet de renoncules, mettons trois par doigt, ce qui fait trente fleurs, sur fond de laque jaune, pourquoi, mais pourquoi et la perruquée de Jérusalem lèvera les yeux au ciel en envoyant Reb Ytsik faire deux trois courses avec les huit gosses, qu’elle puisse souffler un peu.

    Qu’est-ce que tu racontes, m’a dit ma voisine qui venait de s’en casser un, évidemment qu’on fait quand même la vaisselle, qu’est-ce que tu crois ? Puis avec un regard de tendresse vers ses mains. « On peut tout faire avec. » Ciel !
    - Oui, mais quand c‘est abîmé, tu fais quoi ?
    - Ben je retourne chez la manucure. Nou ?

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Rédigé par Victoria

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Publié le 16 Octobre 2011

 

 

Rose

   J'ai déménagé cet été. J'en reparlerai. Entre Gary, le déménageur, Dorit, l'agent immobilier er Ytsik le proprio, je tiens un nouvel épisode de mon journal d'alya.

   Dans la fatigue et l'énervement, j'ai longtemps hésité.

   Reviens, reviens pas ?

   Mais au final me revoilà.

   Pas tout à fait la même et pas tout à fait une autre.

 

   Je suis en apnée depuis plusieurs jours.

   Comme nombre d'israéliens.

 

   Comme nombre d'israéliens, je n'ose y croire tout à fait.

   Pourtant, on nous a annoncé sa libération. On nous a dit qu'il était déjà au Caire, chez nos amis égyptiens qui ont mené les négociations.

 

   Ca fait trop de bonnes nouvelles d'un coup.

 

   Guilad Shalit est libre et les Egyptiens sont toujours nos amis.

   Bien au chaud dans notre vortex, nous vivons des jours extraordinaires.

 

   A la télé, le soir de l'annonce, ce fut une émouvante veillée de larmes et de danses, une soirée de joie pure qu'aucune analyse n'a pu ternir. Le cadrage télévisuel était surnaturel. Ecran double, d'un côté nos larmes et nos danses bleues, de l'autre les danses vertes et la joie palestiniennes. En boucle, pendant toute la soirée spéciale, nous avons dansé ensemble. Je n'ai pas envie d'analyser le sens des images et le pourquoi des joies. Juste, je suis extrêmement émue et troublée d'avoir vécu cela. Cette joie en bleu et vert. Emue et troublée aussi par les commentaires. Netanyahu, on en pense ce qu'on en veut. Mais j'ai aimé la façon qu'il a eu de dire à Noam Shalit, je te ramène ton fils à la maison. Le lendemin, j'ai aimé que dans la presse, la une du journal soit la mère, cette mère qui symbolise toutes les mères et dont on n'ose imaginer ce que doivent être pour elle ces jours d'attente après l'attente...

 

   J'ai entr'aperçu ensuite aux infos dans les jours qui ont suivi, le départ d'un car de prisonniers palestiniens, j'ai juste capté les images sans entendre le commentaire. Mais la caméra a zoomé sur le visage d'un beau jeune homme souriant et épanoui, et j'ai aimé penser qu'on renvoyait dans leur familles des assassins, certes, mais des assassins universitaires et que peut-être, cet enseignement pourrait jouer un peu pour nous, pour peu qu'il se trouve sur cette terre des âmes justes, voire même pacifiques, qui leur rappeleront qu'ils ont été démocratiquement traités, malgré leurs crimes, nouris, soignés, instruits, équipés d'ordinateurs, iphones, ipad pour activer leur compte twitter quand l'otage auquel ils ont volé cette deuxième chance ne sait probablement même pas que facebook existe...

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Publié le 25 Juillet 2011

Dimanche 24 juillet 2011.

 

Je suis carrément malheureuse, ce soir.

J’ai demandé à mon fils, c’est qui cette Amy Winehouse ? Elle chante quoi ?

Oh, tu verras, c’est bien ton genre.

C’est quoi, mon genre, ai-je pensé ?

Et je suis allée sur le câble, concert de la demoiselle. Mais… Mais…

Oh non. Non, non, non.

 

Il faut que je vous raconte. Pour une ancienne radioteuse, je suis au dessous de tout. Mais depuis quatre ans que je vis en Orient, hormis les bons vieux classiques qui constituent ma petite musicothèque personnelle et qui me suivent où que j’aille, mon rapport à la musique s’est cantonné à galgalgalgalats. Ne peuvent comprendre et chantonner correctement que ceux qui sont un jour passés par notre latitude…

Je m’explique. Galgalats, c’est l’incontournable radio israélienne, peu de parlotte, si ce n’est le flash infos toutes les heures et ponctuellement l’état des routes, embouteillage à droite, ralentissement à gauche, biglal téhouna drakhim, c’est sur les ondes de galgalats qu’on entend le plus le mot clé de la vie israélienne, savlanout, la patience, avec, côté musique, une alternance hébreu international toutes époques confondues des plus consensuelles. La plupart du temps, les noms des artistes ne sont pas cités, et quand bien même ils le seraient, on n’est pas toujours super attentif et la maîtrise de l’hébreu n’est pas totale…

 

Tout cela pour dire que Amy Winehouse, depuis la première voiture rouge, c’est notre chanteuse à nous, celle qu’on aime, celle que quand elle passe, on monte le son et tout le monde chante, parce qu’on est devenus des brutes en anglais, et on a tous hurlé no, no, no, nous aussi en refusant la Rehab, au son de Back to Black et je ne parle pas de sa reprise de Valeryyyyy.

Notre chanteuse à nous.

 

A nous.

Même si je n’avais aucune idée de son nom, ni de son physique, ni de son histoire.

Je me suis tout pris dans la tête ce soir. C’est déjà pénible d’être contemporain de personnalités hors du commun et de penser qu’eux n’ont pas idée de notre existence. Mais être contemporain de personnalités hors du commun et l’ignorer… C’est comme si ce soir, on m’avait dit, voilà, tu aimes, c’était là et tu es passée à côté, dommage. J’ai l’impression d’avoir été dépossédée de quelque chose. J’ai surtout l’impression d’avoir perdu quelqu’un.

Je passe sur l’invraisemblable choucroute qui nous a, pauvres de nous, télespectateurs, condamnés à Lagerfeld, je passe sur les tatouages qui ont totalement débridé les apprentis-musicos des chaînes françaises friands de rapprochements douteux pseudo-rocks ou simili-punks, cette façon qu’ils avaient de prononcer Emi Waï-na-housse m’a donné envie de pleurer.

 

D’ailleurs, j’ai pleuré.

Parce que derrière les formules obscènes, indiscrétions malsaines et autres horreurs jubilatoires des panégyristes du soir, derrière les délires indécents des tabloïds, je n’ai vu, moi, que cette étonnante couleur du regard derrière le maquillage, cet écarquillement mutin des yeux qui semblait dire « je le crois pas » juste avant le sourire solaire.

J’ai ressenti très fort cette grâce si particulière des enfants.

Leur inconscience de leur pouvoir est si propice à réveiller l’appétit des ogres…

 


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Rédigé par Victoria

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Publié le 23 Juillet 2011

Où la situation se clarifie, où l’évidence s’impose que rien ne sera simple, il n’y a aucune raison et où il apparait que la vie est comme la mer, toujours recommencée.

 

Pendant que les chats sympathisaient avec les puces israéliennes, que Lucas jouait au foot avec les arabes armés du village voisin et que les filles faisaient tourner leurs jupes avec les petites religieuses, moi, j’avais quand même deux trois petits trucs à régler. Trois fois rien. Trouver une maison, trouver une voiture et accessoirement, trouver un boulot.

 

D’après les calculs, la famille étant plus ou moins prise en charge par la nation reconnaissante le temps de l’Oulpan d’hébreu, c'est-à-dire pendant 6 mois, j’avais à priori 6 mois pour voir venir côté boulot. J’étais résolue quoi qu’il arrive à rester en contact avec le Midi Libre, dont le rédac chef m’avait dit, à priori, un correspondant en Israël, on n’envisage pas, mais si tu as des choses intéressantes à raconter, envoie et on verra, j’avais répondu, pfff, mais j’ai toujours des choses intéressantes à raconter et ça l’avait fait rire.

 

Côté rédactions sur place, pas question que je me pointe avant d’avoir une certaine maîtrise de la langue, déontologie oblige. Pour ce qui est de la langue, les amis avaient été formels. Avec l’Oulpan, en trois mois, c’est plié. Merci Eliezer.

 

Mais en matière de déontologie, disons avec franchise que j’étais, que je suis toujours totalement à côté de la plaque. Ce qui explique d’ailleurs bien des choses, pas sur mon cas mais sur la situation sur place et sur la qualité de la pseudo-désinformation qui y règne. Ce que j’avais toujours craint. Et si… et si ce n’était pas de la désinformation, si ? Posons le problème avec courage. Que peut-il y avoir de pire que des compétents pervers qui désinforment ? Je vous le confirme avec consternation. Rien n’est pire que des incompétents prétentieux qui informent. Misère de misère.

 

Côté écoles, il n’était bien entendu pas question que j’envoie des CV, d'abord, je déteste envoyer des CV et puis il devait déjà y avoir des professeurs d’arts plastiques en place et il n’était pas question qu’enarrivant comme une fleur je mette le poste de quiconque en danger. Moi, je venais trouver ma place et pas prendre celle d’un autre. On a sa fierté. J’ai su depuis que cette façon de penser est des plus inédites et que bien peu s’embarrassent de telles considérations, mais je persiste et je signe.

Côté maison, c’était une autre paire de manches, il fallait absolument que le 1er septembre, jour de la rentrée scolaire, nous soyons installés pas trop loin des écoles, le « pas trop loin », ne prenant sa saveur que quand on sait que les enfants étaient dispatchés dans deux écoles situées dans deux villes différentes, trop fun, les deux filles à l’école française de Tel Aviv et Lucas à Holon, au Lycée franco-israélien de Mikve Israël. A priori 15 minutes de voiture par temps clair entre les deux, mais un, je n’avais pas de voiture et de toutes façons, deux, à l’heure de pointe du matin, on peut aisément multiplier par trois, voire quatre, ce temps de trajet.

 

- Couâ ? Tu ne les as pas mis à l’école israélienne ?

- Non, monsieur, inconsciente peut-être, mais pas maso.

- Mais tu n’y penses pas, comment veux-tu qu’ils s’intègrent ?

- A quand remonte la dernière partie de foot que tu as jouée avec des arabes et des israéliens ensemble ?

- De quoi tu parles ?

- Rien, alors fais pas chier avec ton intégration.

 

Les amis furent formels. Deux à Tel Aviv, un à Holon, il fallait habiter entre les deux, d’après une logique que j’ai du mal à m’expliquer, mais un, je n’avais pas le temps de réfléchir, et deux, les prix à Tel Aviv quand on ne connait pas et qu’on cherche bêtement autour de l’école qui est à Neve Tsedek, le quartier le plus cher de la ville, ça donne, « on peut te trouver un trois pièces pour moins de 3000 dollars, ça t’intéresse ? », je sais aujourd’hui que même par là, il y avait des plans, mais à cette époque, une petite française fraîchement débarquée avec sa bonne humeur, ses trois gosses et des chats n’avait aucune chance. Quant à Holon, un ami de la famille, qui avait été, je le sus plus tard, briefé par mes proches paniqués, m’affirma sans honte qu’il n’y avait aucune maison à Holon, jamais, et que ce n’était pas la peine de chercher. Sous entendu, évidemment, il n’y a rien dans tes moyens, quelle folie de chercher une maison, d’abord, d’où a-t-elle besoin d’une maison celle-là et pourquoi ne fait-elle pas comme tout le monde, il y des bouibouis très abordables à Petah Tikva ? Là où l’histoire devient surréaliste, fallait-il que je sois incommodée par la chaleur, c’est que je le crus et n’insistai pas.

 

Une maison, entre Tel Aviv et Holon, à un prix abordable, tu n’as pas le choix, tu dois t’installer à Azour, me dit le mari de Bosmat.

Le nom me plut, les maisons visitées aussi, grâce aux conseils avisés de mon cousin Jeannot qui avait, dans la même rue que Kobi et sa villa d’architecte… oriental, un ami russe passionné d’intégration qui hébergeait à ce titre dans sa maison de dix pièces en attendant qu’elles aient trouvé leur voie des nouvelles arrivantes pérestroikées aux prénoms délicieux finissant tous par « a », aux longues jambes et aux gros seins, mais c’est que c’était très joli, Azour, pourquoi ce regard horrifié de la famille israélienne quand je prononçais ce nom ? D’autant que la plupart avouaient sans honte n’y avoir jamais mis les pieds, c’est où, d’abord ?…

 

Je me rappelle, la première fois que Jeannot nous emmena chez son ami de la Sohnout russe, celui-ci nous présenta sa femme, la très blonde et très jeune Olga, qui nous présenta son Yorkshire en nous faisant admirer au mur des photos d’elle vêtue en tout et pour tout d’un boa de plumes façon David Hamilton. Très joli, dit une de mes filles avec une admiration sincère. Tu es vraiment magnifiquement retouchée. Heureusement que personne ne sut jamais traduire ça en anglais.

 

Quant à la voiture, qui me semblait être l’urgence des urgences, j’échappai à la location grâce à la générosité de ma tante qui m’avait condamnée aux caprices de la Volvo et pour ce qui est de l’achat, je croulai sous des recommandations désespérantes.

- Alors, la voiture, surtout, jamais à un concessionnaire, ce sont des voleurs.

- Jamais à un garagiste, ce sont des escrocs.

- Jamais à tous ces revendeurs d’occasion qui ont pignon sur rue, avec eux, tu n’as qu’une garantie, celle de te faire arnaquer.

- Jamais à un Russe, que des mafieux.

- Pas à un Irakien, ce sont des brigands.

- Et je ne te parle même pas des Buharim.

- Des quoi ?

- En tout cas, évite les Israéliens. On ne peut pas faire affaire avec les Juifs.

- ???

- Oui, c’est ça le problème ici, c’est qu’il y a plein de Juifs.

 

Ne pas chercher à comprendre…

- Ok, ok, alors, à qui ?

- Attends ton père, tu ne peux pas faire ça toute seule.

 

Devais-je leur expliquer que depuis mes seize ans, scorpion oblige, je n’ai plus jamais attendu mon père qui a toujours eu beaucoup de mal à me suivre même si je l’aime et que cela n’a rien à voir ?

Non, bien sûr. Je pensai alors, le retour aux sources passe peut-être aussi par cette espèce de retour à l’enfance, époque bénie des responsabilités réduites, oui, voilà, c’était ça, mon retour aux sources passait, ils avaient tous raison, par un retour au père.

 

Je l’attendis donc.

 


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Rédigé par Victoria

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Publié le 20 Juillet 2011

Où on me demande des nouvelles des chats et c’est vrai qu’ils sont un élément clé de l’histoire…

 

     Il est probable que de toute la famille, l’intégration la plus spectaculaire est celle des chats. En même temps, ils n’ont pas eu de paperasserie administrative à affronter et personne ne les a bassinés avec Idan Yaniv et autres joyeusetés mizrahies.

     J’ai raconté déjà comment on m’avait cueillie dès mon arrivée à leur sujet et comment au bout du compte, ce problème tangible à résoudre avait estompé tous les métaphysiques.

 

     Ils étaient donc, on s’en souvient, en tout cas, moi, je m’en souviens, partis dès le second jour du merkaz klita direction le refuge amical de ma copine la douce Bosmat. En fait de refuge, Bosmat, qui n’avait des chats qu’une connaissance assez approximative avait décidé de les héberger dans son dressing…

 

En rentrant, le soir de chez Bosmat, je réalisai avec accablement que les chats étaient peut-être interdits, mais qu'il y en avait au moins dix-mille dans les poubelles, dans la buanderie, dans les couloirs, partout ! Je demandai des explications à Sylvina, maîtresse des lieux.

- Tu ne m'avais pas dit que les chats étaient interdits ?

- Ils le sont.

- D'accord. Et tous ceux-là, que tout le monde nourrit ?

Sylvina fronça les sourcils.

- Ils sont là en toute illégalité.

Je ne pouvais pas lutter.

    

     En attendant, remettre dans leur boîte de transport ces malheureux animaux griffus qui venaient d’y passer près de 12 heures et n’en étaient sortis que pour se faire enfermer entre une cuvette et un lavabo s’était avéré chose impossible. J’étais lacérée, un peu, suante, beaucoup, recouverte de poils, berk, et passablement désespérée après une demi-heure d’infructueux efforts pour convaincre la belle Chouchou de réintégrer son carrosse. La tendresse, la persuasion, l’autorité, quoi ?, l’appât de la nourriture, rien n’y avait fait et mes nerfs étaient près de lâcher.

     Je sortis dans le couloir pour tenter de retrouver un semblant de calme. Une charmante jeune femme s’y trouvait déjà, que je n’avais jamais vue. Qu’est-ce qui t’arrive, me demanda-t-elle en anglais ? J’avais reconnu un accent espagnol et c’est dans cette langue propice aux mésaventures surréalistes que je lui racontai mes déboires.

       - Tu ne pourras pas les faire entrer sans pantalon, dit-elle avec aplomb.

       Je regardai ma robe d’un air perdu en pensant, allons bon, voilà autre chose.

      - No he bien comprendido…

      - Mira, c’est comme ça qu’on fait chez moi, en Argentine.

     - On met souvent les chats en boîte, en Argentine ?

     Elle rit.

     - Ca arrive. Il se passe plein de choses curieuses en Argentine. Non, sérieusement, regarde. Tu prends un pantalon et tu y fais entrer le chat côté ceinture. Le pauvre animal ne voit plus rien et tu en profites pour fermer cette issue qui est la plus grande. Ton chat n’a alors pas d’autre choix que d’avancer le long de la jambe que tu auras pris soin d’introduire au fond de ta boîte. Et il ressort où toi, tu l’as décidé. Tu comprends ?

     - Je comprends juste que tu es géniale.

     Je lui tendis la main.

     - Victoria.

     - Je suis Laura.

     Nous nous serrâmes la main.

     - Il n’y a qu’un léger problème, je n’ai pas encore reçu mes valises et je n’ai que cette robe et quelques petites choses que m’a apportées ma cousine hier, mais aucun pantalon, je le crains. On va essayer avec la robe.

     - Ne bouge pas, j’en ai, moi, des pantalons.

     Et elle est partie très vite, pour revenir au bout de deux minutes avec un caleçon en lycra à la main.

     - Ecoute Laura, merci beaucoup, mais on ne peut pas faire ça avec ce pantalon, j’aurais trop peur de te l’abimer.

     - No te preoccupes, où est ton chat ?

     - Mes chats.

     - Où sont-ils ?

     - Dans la salle de bains.

 

     La belle Chouchou nous regarda entrer avec méfiance. Chiara était tout simplement invisible. Je détestais penser qu’elles vivaient un si sale quart d’heure depuis deux jours, mais je n’étais pas non plus à la fête.

 

     - Ne t’inquiète pas, répéta Laura d’une voix douce en s’approchant calmement de Chouchou. Ca va bien se passer.

     Chouchou qui ne parlait pas encore espagnol, c’était avant qu’elle ne soit rebaptisée Pélouche, gronda et nous commençâmes courageusement par Chiara que je dénichais derrière la cuvette. Elle se laissa attraper, comme toujours et se retrouva en moins de deux prisonnière du pantalon. Tout se passa comme Laura l’avait dit, et Chiara fut mise en boîte.

     Pour Chouchou, ce fut une autre affaire. Nous passâmes près de vingt minutes à la convaincre de nous laisser seulement l’approcher, vingt minutes surréalistes blotties l’une contre l’autre avec cette Laura que je ne connaissais pas une demi-heure avant, qui m’avait prise par les épaules en me disant, sois sans crainte, je ne sors pas d’ici tant que ton chat n’est pas dans sa boîte. La pauvre Chouchou terrorisée finit par réintégrer sa boîte et Laura me présenta Tania.

 

     Tania la brésilienne, était aussi américaine du sud. Elle avait un fils, grand et beau et fort, qui réalisa vers ses 18 ans qu’il était juif et voulut connaître Israël. Elle l’envoya donc ici en vacances. Au bout d’un mois, il lui annonça qu’il ne reviendrait pas, de deux, qu’il était devenu habad, et de trois, qu’il se mariait. Cette ravissante femme blonde et délurée, directrice d’une école de cuisine de luxe à Rio, était donc venue une première fois l’année précédente pour découvrir tout à la fois le pays et sa belle-famille orthodoxe.

     Côté questions, elle avait de l’avance sur nous. Elle avait largement dépassé le classique « qu’est-ce que je fous là ? », pour le plus pointu « Où diable ai-je merdé ? « qui expliquait probablement le petit air perdu qui ne la quittait pas.

     - Ecoute, au fond de toi, il doit bien y avoir des réponses. Puisque déjà, tu reviens, et pour rester en plus !

     - J’ai le choix ? Evidemment que je vais rester. Je vais avoir un petit-fils. Je vais être grand-mère. Moi, grand-mère, est-ce que tu te rends compte ?

     Avant de sortir à grands pas dans le jardin pour encore et toujours regarder le ciel.

 

     - Comment elle fait quand elle va voir son fils ? Elle ne peut pas y aller comme ça, en short et chemise ouverte ?

     - Bien sûr que non, on a réussi à la convaincre de fermer son chemisier et elle a acheté des jupes. Tu sais ce qui la contrarie le plus ?

     - J’hésite.

     - C’est qu’elle, grand professeur de grande cuisine, elle ne peut même pas leur mitonner des petits plats. 

      - Pourquoi ?

     - Laisse tomber. Viens, on va la chercher.

 

     Laura aussi était là avec son fils, mais dans une histoire miroir en quelque sorte. Elle aussi avait suivi son fils qui avait Israël pour idéal, sauf que le sien, arrivé à la grande chaleur de Jérusalem, avait réalisé qu’il aimait d’amour l’amie laissée à Buenos Aires et de ce moment-là, il n’eut de cesse de retourner en Argentine au plus vite.

     Ces deux-là, la mère et son fils amoureux, se retrouvèrent alors pris dans un compte à rebours administratif d’un autre monde. Pendant que Teouda Zeout, lorsqu’il reçut enfin sa téouda zéout la perdit le jour même dans l’autobus et entreprit des démarches pour la refaire, Laura, de son côté, essayait encore de distendre tous les liens d’alyah qu’elle avait tissé pour ne pas laisser trop de billes dans l’histoire.

 

     Où Bosmat craque, et il y a de quoi, et où les chats en deux jours, après s'être faits plein de copains, nous emmènent en balade dans la campagne israélienne...

 

     A la fin de la deuxième semaine, Bosmat me téléphona complètement paniquée.

     - Je dois te dire quelque chose.

     - Quoi que ce soit, merci pour ce que tu fais pour moi.

     - J’ai ouvert la fenêtre du dressing…

     - Tu as bien fait, je comprends.

     - Non, tu ne comprends pas…

     - Mais si, tu as perdu un chat ?

     Du ton de l’habituée qui maîtrise et qui sait bien que l’animal réapparaîtrait comme par magie dès que ma Julie approcherait le secteur.

     - Pire…

     - Pire ?

     - Il y en a un de plus dans le dressing…

     Merde, j’ai oublié de raconter que la tendance kibboutz s’était aussi répercutée sur les chats.

     - Il ne faut pas hésiter à le chasser.

     - Mais je n’ai aucune idée duquel c’est ! Et en plus, ils ont des puces !

     - Mes chats n’ont jamais eu de puces, tu sais…

     - Non, je ne sais pas, c’est un cauchemar !

     - Chérie, ne bouge pas, j’arrive !

     Direction Pardessyia avec les enfants qui voulaient voir ça.

     Bosmat était totalement hors contrôle. Les chats nous firent fête, sauf le pouilleux, qui eut le bon goût de s’éclipser dès que nous ouvrîmes la porte.

     J’embrassai Bosmat avec toute la contrition possible pendant qu’elle se grattait frénétiquement la jambe et m’enfuis lâchement avec les chats que je fis entrer dans la voiture sur les genoux des enfants. Et chats en liberté, cela signifie en clair fenêtres fermées et la Volvo n’était pas climatisée ! Joie ineffable.

    

     Direction le vétérinaire à Jérusalem, merci Brigitte, pour le traitement anti-puces, puis Beth Shemesh pour la pension de la mémère à chats du début, puisqu’il n’était plus question d’y couper…

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Rédigé par Victoria

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Publié le 18 Juillet 2011

Depuis qu'on nous bassine avec l'expansion israélienne et l'étrangeté de cette nation colonisatrice qui ne construit que dans son périmètre, ah les cons ! qui chasse les plus pauvres des centres villes et bords de mer pour y loger ses nantis dans des complexes immobiliers aussi honteusement chers que graphiques, on n'a jamais vu ça nulle part, qui reloge les fameux déplacés en banlieues urbaines accessibles par autobus, train et même tramway, faisant la nique à tous les slums et autres bidonvilles de la planète, qui chante et danse et bronze pendant qu'on continue de la bombarder, inconscients !, et si on allait y faire un tour, pas comme les flottilleurs, tiens, pour rire, ça serait drôle de regarder la liste des abrutis qui se sont faits coincer ici alors qu'ils venaient innocemment manifester, étrange nation où le monde entier sait qu'on peut venir avec d'affichées mauvaises intentions sans risque aucun, combien d'autres pays aussi magnanimement crétins ?, les abrutis qui sont descendus de leur avion le savent bien, eux, à qui on a offert une fleur avant de les refouler gentiment, le diront-ils, pauvres manipulés, je veux entendre leur colère quand ils sauront que l'instigateur du foutoir est tout à fait content et que sa suspecte satisfaction leur a coûté à chacun leur billet, ce type de pigeons en hébreu a un nom, ce sont des frayerim, qui se font plumer sans beaucoup voyager...

 

      Avant d'habiter Israël, j'ai habité longtemps la région de Montpellier, région européenne qui connaissait l'expansion la plus extraordinaire avec1000 nouveaux habitants chaque mois. Je ne sais pas si cette tendance s'est confirmée, mais il y a 4 ans, on en était là.

 

       Israël, ça me fait beaucoup penser à Montpellier. Beaucoup de nouveaux arrivants à intégrer, une qualité d'accueil étonnante, et des projets immobiliers qui poussent comme des champignons.

 

     Une des plus bizarres bizarreries israéliennes, d'ailleurs, ce sont précisément les échafaudages.

     - Mais de quoi elle parle ?

 

     Je parle de ces espèces d'assemblages brouillons et fouillis de lames de bois hétéroclites, agencées à la... non, pas agencées, en fait, posées, empilées, comme un jeu de légo, avec une ingéniosité mathématique rare, puisque quelle que soit la hauteur de l'immeuble construit, bien malin qui pourra y dénicher deux parallèles.

    

    Il faut le voir pour le croire.

                Ces échafaudages sont fascinants, par la liberté de leur géométrie, la magie de leur équilibre, le désordre fou de supports qui pourtant, à terme, conduisent à des structures étonnamment verticales. 

                Parfois, subjugué, presque malgré soi, on s'y arrête.

  

     Et on se rend bien vite rendue compte que le plus troublant ne vient pas du surréaliste spectacle visuel mais de quelque chose de bien plus subtil, d'une espèce de fond sonore subliminal.

     En se rapprochant encore, on commence à percevoir comme le  souvenir d'un bruit de ruche... Les voix de toutes les mères inquiètes de tous les ouvriers. Nul besoin d'un gros effort d'imagination pour les entendre chuchoter à l'oreille de leurs fils, Shlomi, tu ne vas pas monter si haut, fais moi plaisir, rajoute une planche. Et Schlomi pour la faire taire, cloue une planche à la va vite. Voilà, c'est fait, tu peux y aller, maintenant. Mets en une autre ici d'abord, regarde, là, ça bouge un peu. Schlomi est exaspéré, mais c'est un bon fils. Maman, voilà, ça y est, vas-y maintenant. Une autre, rien qu'une autre, pour l'amour de moi. Maman, arrête, voilà, elle y est ta planche. Avner, tu vas me rendre folle, tu as vu comme c'est étroit ? Tu me rajoutes tout de suite un pilier ici, ou je ne bouge pas. Maman, tu veux des piliers, voilà, regarde, j'en mets deux, maintenant tu me laisses ? Regarde, la mère de  Tooli, son fils l'écoute, lui, tu as vu combien il a mis de planches ? Maman, ça suffit, je travaille ici ! Tu en mets une autre là et j'y vais, fils ingrat ! Maman ! Ah wiléwilé, cet enfant me tuera. Maman ! Ca va, ça va, rajoute un clou d'abord, rien qu'un, tu seras bien content, après ! Tu me remercieras !


            C'est imparable. Il n'y a pas d'autre explication. Les échafaudages israéliens bruissent de toutes ces suppliques tendrissimes de mères orientales.


                        Elles sont fortes, il n'y a pas à dire.

 


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Rédigé par Victoria

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Publié le 17 Juillet 2011

Où on recrée l’ambiance kibboutz au merkaz, où la famille de cœur n’en finit pas de s’agrandir et où on admet une fois pour toutes que la vie ne nous apprend rien et que ça n’a pas plus d’importance que ça.

Rigolo comme les années passent et rien ne change. J’ai retrouvé ce courriel envoyé il y a quatre ans à mon petit frère.

                

                 Mercredi 8 Août 2007 à 19h41mn 54s

                 Objet : le comble du comble

C’est cela même 

                

                 De moi à mon petit frère.

Chouchou !

                 Tu vas pas le croire. J’avais pas de maison. Maintenant, j’hésite entre deux.

                 L’une est beaucoup plus chère que l’autre. 300 dollars de plus par mois, plus 600

                dollars de frais d’agence…

Tiens, rigolo, ça. En 4 ans, on peut dire que les prix ont quasiment doublé. Si, si, c’est vrai, c’est près de 1300 euros que je vais donner à l’agence, cette fois-ci. Plus du double, même.


    … En surface, elle est équivalente à ma maison de Saint-Gély, avec un petit séjour et

    quatre chambres, plus pas mal d’espaces perdus, dressings, buanderie et autres.

    Elle est située dans une rue qui ne me plait pas tant que ça, avec une terrasse qui

    donne sur un chantier.  On y entend le bruit de la route et il y a une école toute proche,

    avec donc, ambiance aux récréations.

    MAIS. Elle est très propre. Très confortable. Très bien finie. Très européenne, toute

    blanche et belle, avec de jolies salles de bains, de grandes belles chambres et un

    petit jardin gazonné tout propret. Les propriétaires sont très charmants…

            Ok, ça va, les propriétaires charmants, maintenant, je sais à peu près à quoi m’en tenir.


    Et notre ami qui m’a accompagnée s’est beaucoup investi sur l’histoire…

Les amis et leur investissement, … comme une solidarité majuscule. Ce qui ne veut pas dire qu’ils maîtrisent le système, les amis, bien sur que non, même si la plupart se comportent comme si ce système était de leur cru, mais ils sont toujours là, et ça, c’est infiniment précieux.


                … L’autre maison est plus grande. Elle est dans une rue dix fois plus belle, sans bruit,

                ni école. Elle comporte six chambres. Elle dispose d’un immense séjour avec un très

                beau volume et les enfants l’ont adorée.

                 MAIS. Il y a deux locataires au rez-de-chaussée, mon accès au jardin est donc

                indirect. Les chambres sont toutes petites. La maison est vieille et mal finie,

                totalement à l’israélienne. Et le propriétaire est une espèce de filou

                d’un autre monde…

Plus que ça encore. La seule façon de le désamorcer, celui-là, aurait été de l’épouser, paraît-il… Kobi… Il fut le premier de ma collection d’escrocs indigènes. Suivirent Rahamim, Braha, Ytsik… A qui le tour ?

    … Que faire ? Les deux, de toutes façons, ne sont que pour un an reconductible,

     genre deux.

Le lait et le miel, c’est bien joli, on avait juste oublié l’apiculteur et le fermier… Du Pagnol mizrahi, les enfants. Faut ce qu’il faut.

 

Pendant que j’hésitais, la vie s’organisait au merkaz. J’avais inscrit les enfants à l’oulpan, mais les lever le matin à 7 heures quand on s’est couché à pas d’heure, c’est pas humain et les enfants ont très peu oulpané.

Je sais, je sais, je manque de rigueur, mais je ne vois pas au nom de quoi on devrait cautionner des systèmes abscons. Cette année-là comme les autres, les enfants ont pris le rythme d’été des vacances adolescentes. Qui me semble, n’en déplaise aux censeurs de tout poil, un rythme éminemment proche de l’état de nature. Quand il fait 50 à l’ombre, dormir le jour et se réveiller à la canicule atténuée de 17 heures, c’est plutôt intelligent, à mon sens.

Si les heures respirables sont les heures de la nuit, où est-il écrit que l’humain doive s’acharner à les dormir pour étouffer tranquille en journée ? Etre définitivement inadapté sur la planète, c’est donc notre malédiction humaine ? Hein ? Où c’est écrit ?

Appliquer ce principe simplissime en maison de retraite, vous imaginez ?


Très vite, je demandai l’autorisation de sortir les tables le soir au jardin pour organiser des repas communs.

- Depuis que ce merkaz existe, tu es la première à demander un truc pareil.

- Je ne vois pas pourquoi on mangerait tous dans nos petites chambres minables alors qu’il y a cet extérieur extraordinaire.

- Tu as raison. Sors toutes les tables que tu veux.


Qu’elles étaient agréables, nos tablées ! Elles ne réunissaient pas tout le monde, évidemment, les degrés de notre foi résistent mal à la convivialité de la table et les grands religieux, les strictement observants ne pouvaient se joindre à nous pour dîner. Mais toujours ils nous rejoignirent et je pus enfin commencer à inviter la famille.

Je suis issue d’une famille aimante quoique phagocytaire, rien que de très normal, l’un va chez nous rarement sans l’autre. Mais j’avais mis suffisamment de distance, géographique s’entend, déjà en France avec mes très proches pour que la magie opère à fond auprès de mes enfants.


Pour mes enfants, depuis toujours, la famille n’est que retrouvailles et fêtes et joies et amour ineffable. J’ai tissé pour eux de mes réticences un invisible et indestructible lien.

Et c’est tant mieux car chez moi, tout est prétexte à faire danser les chaises.


Ce que j’ai fui en mon temps à toutes jambes a aimanté mes enfants bien plus sûrement que n’auraient pu le faire les plus intransigeantes obligations. J’en ai été agacée au début, avant de m’attendrir, parce que c’est bien ainsi.


C’est dire s’il fut difficile de quitter tous nos charmants adorés, oncles, tantes, cousins, dur de penser qu’il ne suffirait plus d’un caprice, d’un élan, beau comme une publicité à la télé, se jeter dans une voiture en chantant pour courir se blottir en ouvrant grands les bras, c’est moi, surprise, j’avais trop besoin de te voir.


L’éloignement ne change rien, c’est sûr, les sentiments restent immuables et le troisième millénaire offre des possibilités insoupçonnées, certes. Mais tout de même. Le petit pincement au cœur est bien là, comme un trop plein d’amour en mal de déversement. Les plus forts du monde en retrouvailles à l’infini.


Ce que les enfants ignoraient que je leur gardais en réserve, c’est qu’une autre partie de la famille vit en Israël. Des tout aussi charmants, tout aussi tendres, tout aussi proches. En Israël vivent les cousins de mon enfance. Et comme les enfants, nous nous sommes retrouvés comme si nous nous étions quittés la veille, les rires pleins de souvenirs inavouables et adolescents. Mes enfants n’en sont pas revenus. J’ai bien vu leur regard, d’où ils sortent, ceux là, mais ils connaissent ma mère ! Et d’instinct, pendant que nous nous retrouvions à l’étage des cousins, nos enfants se sont reconnus sur la branche des descendants.

 

Eternelle mayonnaise ! Magique brochette !

 


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Rédigé par Victoria

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Publié le 16 Juillet 2011

Où on prend les mêmes et on continue, foin des Pinhas, à nous les Ytsik, et on réalise que le panache, oui, comme Cyrano, tout pareil, sauf que avec une Roxane énamourée qui se penche au dessus de vous en susurrant, les mains jointes, « C’était vous ! », c’est bien joli, mais quand au dessus de votre tête vous n’avez que deux ados, la troisième est chez son père, qui vous demandent avec effarement, « Quoi, on mange encore des shnitzels ce soir ? », eh bien, le panache, c’est juste encombrant et même un tantinet ridicule, parce que ça tient sacrément chaud. Tiens, vous me ferez penser à vous reparler de la lune…


14 juillet 2011. Le fait est que la recherche de nid est une activité récurrente ici pour les innombrables espèces d’oiseaux qui croisent par chez nous. Dira-t-on jamais assez le paradis ornithologique que représente notre petit bout de désert fleuri pour les hirondelles, colibris, tourterelles, ramiers et colombes, pour les corneilles, perruches, geais, paons, aigles, faucons et buses, pour les chouettes et pour les hiboux, pour les gais rossignols et les merles rieurs… et même pour les étourneaux râpés dans mon genre infoutus d’accéder à la propriété,

Mais qu’à cela ne tienne,

Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances,

Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet

Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet…

 

En un mot comme en cent, mon quatrième été israélien est comme les autres, déménageur et caniculaire.

A priori normal.

Plus le panache.

 

J’ai refait hier le coup des chats du merkaz. Résoudre une situation mal engagée d’un coup de téléphone, ma grande spécialité. Mon jeu est peut-être biseauté, mais il comporte un nombre incalculable de jokers !

A la base, la situation était pourtant sous contrôle. Je dois déménager le 30 juillet et j'ai trouvé fin mai un lieu qui convenait à la famille, mieux, on est venu me prier de l’investir, ce lieu, grandiose, j’ai accepté, bon, d’accord, que doit-on faire à présent, dois-je signer quelque chose ?

- Entre nous, tu n’y penses pas ?

Et moi, de m’excuser d’avoir osé proposer une chose pareille. Tout ce que j’aime.

 

Je marche sans rien sur moi qui ne reluise,

Empanaché d’indépendance et de franchise ;

 

C'est chiant, je voulais ajouter une rime en "ise"

Et je ne trouve que "bêtise" !

 

Nous avons passé le mois de juin à cartonner dans l’allégresse.

            Mais... La situation s’est emballée à une quinzaine de jours du déménagement.

Avant-hier.

 

La proposition est semble-t-il tombée à l’eau, noyée sous des tonnes d’eau boueuse, on m'a demandé avec beaucoup de gentillesse si je voulais l’adresse d’un bon agent immobilier. Mieux, on m’a annoncé un peu gêné qu’on comprenait dans quel embarras je me trouvais, et qu’on avait appelé ma propriétaire actuelle pour lui expliquer que la situation n’était pas de mon fait, on a appelé ma propriétaire ??? et que donc, je ne pourrai sûrement pas quitter les lieux comme prévu dans quinze jours, ce à quoi, ma chamelle de propriétaire, tu parles, a rétorqué que je n’avais pas le choix, attendu qu’elle venait de vendre la maison et que les nouveaux propriétaires emménageaient le 1er août. Ce qui est bien évidemment totalement faux, mais passablement écœurant. Panache, panache.

 

Ce n’est pas une faille avantageuse, c’est

Mon âme que je cambre, ainsi qu’en un corset…

 

Qu'à cela ne tienne. Je n’avais pas plus tôt raccroché que j’appelai ma copine agent immobilier, qui avait déjà bien ri quand je lui avais raconté que je n’avais rien signé et que cela me correspondait si bien, la confiance, et avant qu’elle ouvre la bouche, je lui ai dit, ne dis rien, s’il te plait, et elle a juste murmuré, je te rappelle dans deux heures, neshama, pour te dire ce que tu viens signer demain, beseder ?

Tu parles que beseder.

 

Et deux heures après, elle me rappelait pour me proposer d’aller signer la première maison que j’ai visitée avec elle, celle du fameux Ytsik, qui bizarrement n’a pas loué depuis, et qui n’attendait que moi.

Si ça, c’est pas du panache…

Et tout recouvert d’exploits qu’en rubans je m’attache,

Retroussant mon esprit ainsi qu’une moustache,

Non, merde, pas la moustache

Je fais en traversant les troupes et les ronds

Sonner les vérités comme des éperons.

 

          C'est comme ça que je déménage toujours le 1er août, comme prévu, je me sens fière comme Cyrano et j’ai juste envie de mourir. Parce que putain, le panache, en période caniculaire, ça tient sacrément chaud, c’est moi qui vous le dis.


Feu d’artifice.

 

16 juillet. Bon. J’ai signé hier avec Ytsik pour une petite maison israélienne honteusement chère dans une rue de Holon qui porte un nom de poète. Il m’a chaudement recommandé de ne pas, mais alors jamais de chez jamais, jeter de lingettes dans les toilettes, parce que ça les bouche. Il l’a d’ailleurs écrit dans le contrat, avec plein d’autres choses que je n’ai pas écoutées.

 

Non, je ne suis pas folle, mais il n'était pas possible de se concentrer. Nous étions tous assis dans le salon sordide de ses parents, un petit couple sans âge qui n’avait assurément pas vu tant de monde depuis la bar mitsvah d’Ytsik, et qui était aux anges. Ma belle tante, éternel garant de ma solvabilité, dont la grâce naturelle et l’élégance impressionnent toujours, ma jolie Rose et son adorable bébé, Georges, le coach immobilier du jour, parce que les petites lignes des contrats, ça va cinq minutes, qui encore, ah oui, moi, je crois bien que j’étais là, hypnotisée par la tapisserie d’Aubusson séfarade au dessus du canapé marron, dont les tons orange et violet se mariaient à ravir avec le beige des murs et le camaïeu de bruns de la pièce.

Je suis en état de choc graphique. Je vais mettre quelques temps à me remettre.

 

Moins de 15 jours, j’espère.

 


 


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Rédigé par Victoria

Publié dans #Journal

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