Publié le 25 Février 2016

Lettre d'Israël à ma fille bédromamérica...

Holon, 27 janvier-25 février. Ah bravo.

Ma toute petite fille d’amour,

J’ai l’impression d’être madame de Sévigné.

Après la naissance de ton frère, je voulais que tu naisses très vite. Mais tu t’es faite attendre. Tant et si bien que je suis allée consulter un médecin de la stérilité. Ne ris pas. Dans la salle d’attente rose et bleue, des couples désespérés échangeaient leurs détresse. Qui attendait depuis 15 ans, qui en était à sa douzième fécondation in vitro, une fausse couche à droite, un sanglot à gauche. Des regards pleins de commisération se sont tournés vers moi qui étais venue seule. J’ai modestement baissé le yeux. Tu parles que je n’ai pas osé dire que j’avais un merveilleux petit garçon de deux ans et que je m’inquiétais juste du retard de sa soeur.

Le médecin, lui, ne s’est pas moqué de moi comme l’avait fait ton père. Il m’a posé diverses questions avant de conclure qu’il fallait passer une batterie de tests, à commencer par ton père justement qui accusait probablement une baisse de fécondité.

Je te laisse imaginer l’accueil que celui-ci m’a fait. Tu sais ce que j’en fais moi, de sa baisse de fécondité ? Tu le sais ?

De fait, trois mois plus tard, tu t’annonçais.

Tout ça pour te dire que jamais enfant ne fut plus désirée, sauf peut-être ton frère... et ta soeur.

Tu as été un bébé de rêve. Pendant ta première année, tu n’as été que sourire, et les copines voulaient toutes te babysitter parce qu’un bébé d’une telle bienveillance, c’est assez exceptionnel. On te souriait et tu souriais, on te baignait et tu souriais, on te prenait aux bras et tu souriais encore, on te recouchait et tu souriais toujours, un fantasme de parent. La pédiatre t’a repérée dans la seconde.

Elle est sage, cette petite ?

Un rêve

Ce sont les pires.

Quoi ?

Elle vous observe. Quand elle va se réveiller, vous êtes cuits.

Tout ce que je peux dire, c’est que nous n’avons pas été déçus. Aux petits oignons mon amour. Aux petits oignons.

Jamais sur terre on ne vit petit bout si catégorique et déterminé. J’étais émerveillée. Tu renvoyais dans les choux Simone de Beauvoir et ses théories vaseuses sur le deuxième sexe inventé, inventé par toi, oui. Sans que personne ne t’en ait jamais parlé, toi qui n’avais jamais vu de rose de ta vie ailleurs que dans le jardin, tu as réinventé le fushia et toutes les couleurs qui vont autour. Tu voulais des tresses africaines et tu as eu des tresses africaines (Va faire des tresses même pas africaines avec un duvet blond) Tu voulais une frange et tu as eu une frange (Quoi Duguesclin). Tu voulais des robes qui tournent et tu as eu des robes qui tournent (Vous cherchez une robe ou une toupie ?) Tu voulais chanter avec ta guitare et tu as chanté. Tu voulais faire la danse du ventre et on t’a mis des voiles. Tu voulais le justeaucorps d’Agathe l’acrobate et tu as fait l’école du cirque.

Mais enfin, tu ne peux pas accéder à toutes les demandes de cette petite. Il faut qu’elle apprenne à choisir.

Pourquoi, grands dieux, pourquoi ?

Quand tout ce que tu entreprenais tu le menais à son terme, avec courage et obstination. Pas l’once d’un caprice dans ton comportement, mais un vrai engagement, dans toutes les directions.

Et moi, j’étais censée canaliser tout ça, quand j’étais la mère d’un soleil ? Parce qu’on n’aurait pas le droit d’admirer ses enfants sous prétexte qu'ils ont quatre ans et qu’ils se battent toute la sainte journée avec leur frère ? Quelle stupidité.

Le fait que tu aies été chiantissime à tes moments perdus ne m’a jamais fait perdre de vue la chance incroyable que j’ai d’avoir croisé ton chemin.

C’est si difficile d’être parent mon chéri. Difficile comme tu n’en as pas idée. Tous ces conseilleurs qui te culpabilisent et te montrent pourquoi tu fais mal, toujours.

Parce que tu fais toujours mal.

Il y a la famille d’abord.

Ceux que j’appellerai les bien intentionnés.

Qui t'expliquent.

Le bon côté de l’histoire, c’est que la théorie, ils l’ont testée sur toi et s’ils s’y accrochent avec cet acharnement, c’est que le résultat (toi) leur convient plutôt. Pouf pouf.

Hormis ce point positif qui ne saute pas aux yeux au premier abord, tu es condamnée aux conseils, aux remarques, laisse le pleurer un peu, il se fait la voix, il te réclame, prends-le, moi, tu ne m’aurais jamais parlé comme ça, c'est moi qui te le dis, si tu n’y prends pas garde, ils vont te manger sur la tête, mais laisse-les donc tranquilles, oui je lui ai donné un bonbon et alors ?

Et je ne parle pas des pires conseilleurs, les copains, qui n’ont pas d’enfants mais ne sont pas avares en théories fumeuses sur l’éducation des enfants qui s’ils étaient les leurs n’auraient qu’à bien se tenir...

Un cauchemar.

Pour résumer je te rappellerai cet inénarrable proverbe qui se décline en toutes les cultures et toutes les langues, du ladino ashkénaïsant, sembra palos para ke te aharven, sème des bâtons pour qu’ils te frappent, au cruel espagnol, cria cuervos y te sacaran los ojos, élève des corbeaux et ils te crèveront les yeux, olé, en passant par la poésie imagée de la version provençale qui vaut son pesant de cacahuètes, faï dè ben a Bertrand, té lou rendi en cagant, en même temps un môme, quand tu l’as appelé Bertrand, qu’est-ce que tu peux exiger de lui ?, et même en anglais, le débordant d’affection, if you raise a snake, expect to get bitten, si tu élèves un serpent, ne t’étonne pas d’être mordu, ou la tendre version latine, viperam sub ala nutricare, à tes souhaits et ne viens pas te plaindre si tu nourris des vipères en ton sein.

Un proverbe aussi stupide qu’universel qu’annônent en chœur tous les parents du monde depuis le début des temps, désespérés qu’ils sont face à l’ingratitude de leurs rejetons qui restent cancres pendant qu'eux se saignent aux quatre veines.

D’autant, force m’est de le reconnaître, que mes théories personnelles ont toujours été très controversées.

La plus grande polémique est sans doute venue de mes méthodes inédites de punitions cruelles. Parce que sous mes apparences de douceur, je suis du genre impitoyable et à vos pires moments, ton frère et toi avez copié les classiques. Julie, qui connaissait la chanson, m’a ri au nez quand est venu son tour et a échappé au supplice en se cantonnant perversement dans son rôle d’adorable. Lucas, mon soleil numéro 1, n’a pas eu cette chance et il a eu droit au Livre de ma mère de ma période mère ashkénaze, “n’oubliez pas que toutes les mères sont mortelles ô vous les fous sitôt punis”, mon petit ange, puis je me suis un peu calmée et j’ai sorti Cyrano. En avez-vous copié du Cyrano. Et non, je ne fabule pas quand je raconte que lorsque nous sommes allés voir la pièce jouée façon Comedia del Arte par une compagnie montpelliéraine, ton frère de 10 ans reconnaissant le texte, s’est levé pour crier devant le public médusé “Et à la fin de l’envoi, je touche”.

Je me souviens d’un jour où tu étais très très en forme devant deux de mes amies parisiennes qui me regardaient avec commisération.

Je ne sais quelle bêtise avait été commise. Et enragée, j’ai rugi c’etait vous ! Et en le disant, j’ai entendu Roxane et je me suis faite rire intérieurement. Et j’ai répété c'était vous avec encore plus de conviction. Et tu as instantanément compris et je l’ai lu dans tes yeux. Et tu as répondu d’une petite voix

Non, non, non...

J’ai couru sortir le livre de son étagère de la bibliothèque et devant les copines médusées, mais… mais… elle n’était pas en train de l’enguirlander ? tu es venue t’asseoir sur mes genoux et j’ai repris d’un ton plus du tout féroce...

C’était vous

et tu as dit non, c’est moi qui fais Roxane.

Moi : Ok. Non, non, Roxane, non !

Toi : J’aurais dû deviner quand il disait mon nom !

Moi : Non ! ce n’était pas moi !

Toi : C’était vous !

Moi : Je vous jure…

Toi : J’aperçois toute la généreuse imposture

Les lettres, c’était vous…

Moi : Non !

Toi : Les mots chers et fous,

C’était vous…

Moi : Non !

Toi : La voix dans la nuit, c’était vous.

Moi : Je vous jure que non !

Toi : L’âme, c’était la vôtre !

Moi : Je ne vous aimais pas.

Toi : Vous m’aimiez !

Moi, t’embrassant : C’était l’autre !

Toi : Vous m’aimiez !

Moi, “d’une voix qui faiblit” : Non !

Toi : Déjà vous le dites plus bas !

Moi, t’embrassant encore : Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !

Muche et Ninou en ont eu les larmes aux yeux, tu es vraiment une folle, Anatone y croutone…

Pour tout dire, j’ai définitivement arrêté de me poser des questions sur mes méthodes le jour où ton idiote d’institutrice de moyenne section maternelle t’a demandé ta religion, quand tu lui as répondu sans te démonter du haut de tes 4 ans, je suis catholique par mon père, juive par ma mère et musulmane par ma copine Zeïnab.

Tout etait dit.

Trésor, j’ai repensé cette semaine à mon amie Isabelle qui a rompu les ponts avec moi après une visite que nous lui fîmes dans son domaine du Loiret. Elle s’est fâchée parce que ton frère (8 ans) a dit avec beaucoup de conviction à son Maxime (6 ans) que s’il levait encore la main sur toi (5 ans), il s’occuperait personnellement de son cas. Et le petit Maxime a pris la menace très au sérieux (avec raison) et plus sauvageon que jamais, a disparu de la circulation.

Tu ne dis rien ? m’a demandé Isabelle.

Moi, tu parles, je m’occupais de toi que le petit Maxime (je crois qu’il était amoureux) avait faite tomber de vélo et qui pleurais comme une madeleine.

Ça va, elle en sera quitte pour une égratignure.

Mais Isabelle a continué de plus belle.

Tu ne peux pas perpétuer comme ça des traditions rétrogrades...

Quoi ?

… et laisser tes enfants développer l’esprit tribu.

L’esprit tribu… A ce jour, je me demande encore ce qu’elle a voulu dire. Voulait-elle parler par extraordinaire de cette merveilleuse tendresse qui vous unit ? Ou de cette affection protectrice que tu sais depuis toujours inspirer à ceux qui t’approchent ?

J’ai repensé à tout ça en voyant le film qu’ont tourné pour ton anniversaire tes amis israéliens encore militaires pendant que tu travailles le doré de ton bronzage au soleil carioca avec Céline. Ce court-métrage réalisé par mon petit Jérémie M., comme toujours d’un professionnalisme et d’une inspiration rares. Penser que la petite grappe s’est prêtée au jeu comme ça, et que ces 6 cornichons ont promené un ballon à ton effigie affublé d’une impossible perruque blonde dans tout Tel Aviv me bouleverse.

Oui, Jérémie, Jessy, Sarah, Charlotte, Orna et Sacha, comme Nathalie, j’ai versé ma petite larme en vous voyant si mignons et si adorables exprimer avec tant de candeur et de talent votre amitié pour ma fille. Tout le monde voudrait avoir des amis comme vous.

Je suis si contente en temps que mère du phénomène d’être un peu de la même tribu...

Prends soin de toi, mon petit globe trotter.

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Rédigé par Victoria

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