Journal d'alyah, 10

Publié le 17 Juillet 2011

Où on recrée l’ambiance kibboutz au merkaz, où la famille de cœur n’en finit pas de s’agrandir et où on admet une fois pour toutes que la vie ne nous apprend rien et que ça n’a pas plus d’importance que ça.

Rigolo comme les années passent et rien ne change. J’ai retrouvé ce courriel envoyé il y a quatre ans à mon petit frère.

                

                 Mercredi 8 Août 2007 à 19h41mn 54s

                 Objet : le comble du comble

C’est cela même 

                

                 De moi à mon petit frère.

Chouchou !

                 Tu vas pas le croire. J’avais pas de maison. Maintenant, j’hésite entre deux.

                 L’une est beaucoup plus chère que l’autre. 300 dollars de plus par mois, plus 600

                dollars de frais d’agence…

Tiens, rigolo, ça. En 4 ans, on peut dire que les prix ont quasiment doublé. Si, si, c’est vrai, c’est près de 1300 euros que je vais donner à l’agence, cette fois-ci. Plus du double, même.


    … En surface, elle est équivalente à ma maison de Saint-Gély, avec un petit séjour et

    quatre chambres, plus pas mal d’espaces perdus, dressings, buanderie et autres.

    Elle est située dans une rue qui ne me plait pas tant que ça, avec une terrasse qui

    donne sur un chantier.  On y entend le bruit de la route et il y a une école toute proche,

    avec donc, ambiance aux récréations.

    MAIS. Elle est très propre. Très confortable. Très bien finie. Très européenne, toute

    blanche et belle, avec de jolies salles de bains, de grandes belles chambres et un

    petit jardin gazonné tout propret. Les propriétaires sont très charmants…

            Ok, ça va, les propriétaires charmants, maintenant, je sais à peu près à quoi m’en tenir.


    Et notre ami qui m’a accompagnée s’est beaucoup investi sur l’histoire…

Les amis et leur investissement, … comme une solidarité majuscule. Ce qui ne veut pas dire qu’ils maîtrisent le système, les amis, bien sur que non, même si la plupart se comportent comme si ce système était de leur cru, mais ils sont toujours là, et ça, c’est infiniment précieux.


                … L’autre maison est plus grande. Elle est dans une rue dix fois plus belle, sans bruit,

                ni école. Elle comporte six chambres. Elle dispose d’un immense séjour avec un très

                beau volume et les enfants l’ont adorée.

                 MAIS. Il y a deux locataires au rez-de-chaussée, mon accès au jardin est donc

                indirect. Les chambres sont toutes petites. La maison est vieille et mal finie,

                totalement à l’israélienne. Et le propriétaire est une espèce de filou

                d’un autre monde…

Plus que ça encore. La seule façon de le désamorcer, celui-là, aurait été de l’épouser, paraît-il… Kobi… Il fut le premier de ma collection d’escrocs indigènes. Suivirent Rahamim, Braha, Ytsik… A qui le tour ?

    … Que faire ? Les deux, de toutes façons, ne sont que pour un an reconductible,

     genre deux.

Le lait et le miel, c’est bien joli, on avait juste oublié l’apiculteur et le fermier… Du Pagnol mizrahi, les enfants. Faut ce qu’il faut.

 

Pendant que j’hésitais, la vie s’organisait au merkaz. J’avais inscrit les enfants à l’oulpan, mais les lever le matin à 7 heures quand on s’est couché à pas d’heure, c’est pas humain et les enfants ont très peu oulpané.

Je sais, je sais, je manque de rigueur, mais je ne vois pas au nom de quoi on devrait cautionner des systèmes abscons. Cette année-là comme les autres, les enfants ont pris le rythme d’été des vacances adolescentes. Qui me semble, n’en déplaise aux censeurs de tout poil, un rythme éminemment proche de l’état de nature. Quand il fait 50 à l’ombre, dormir le jour et se réveiller à la canicule atténuée de 17 heures, c’est plutôt intelligent, à mon sens.

Si les heures respirables sont les heures de la nuit, où est-il écrit que l’humain doive s’acharner à les dormir pour étouffer tranquille en journée ? Etre définitivement inadapté sur la planète, c’est donc notre malédiction humaine ? Hein ? Où c’est écrit ?

Appliquer ce principe simplissime en maison de retraite, vous imaginez ?


Très vite, je demandai l’autorisation de sortir les tables le soir au jardin pour organiser des repas communs.

- Depuis que ce merkaz existe, tu es la première à demander un truc pareil.

- Je ne vois pas pourquoi on mangerait tous dans nos petites chambres minables alors qu’il y a cet extérieur extraordinaire.

- Tu as raison. Sors toutes les tables que tu veux.


Qu’elles étaient agréables, nos tablées ! Elles ne réunissaient pas tout le monde, évidemment, les degrés de notre foi résistent mal à la convivialité de la table et les grands religieux, les strictement observants ne pouvaient se joindre à nous pour dîner. Mais toujours ils nous rejoignirent et je pus enfin commencer à inviter la famille.

Je suis issue d’une famille aimante quoique phagocytaire, rien que de très normal, l’un va chez nous rarement sans l’autre. Mais j’avais mis suffisamment de distance, géographique s’entend, déjà en France avec mes très proches pour que la magie opère à fond auprès de mes enfants.


Pour mes enfants, depuis toujours, la famille n’est que retrouvailles et fêtes et joies et amour ineffable. J’ai tissé pour eux de mes réticences un invisible et indestructible lien.

Et c’est tant mieux car chez moi, tout est prétexte à faire danser les chaises.


Ce que j’ai fui en mon temps à toutes jambes a aimanté mes enfants bien plus sûrement que n’auraient pu le faire les plus intransigeantes obligations. J’en ai été agacée au début, avant de m’attendrir, parce que c’est bien ainsi.


C’est dire s’il fut difficile de quitter tous nos charmants adorés, oncles, tantes, cousins, dur de penser qu’il ne suffirait plus d’un caprice, d’un élan, beau comme une publicité à la télé, se jeter dans une voiture en chantant pour courir se blottir en ouvrant grands les bras, c’est moi, surprise, j’avais trop besoin de te voir.


L’éloignement ne change rien, c’est sûr, les sentiments restent immuables et le troisième millénaire offre des possibilités insoupçonnées, certes. Mais tout de même. Le petit pincement au cœur est bien là, comme un trop plein d’amour en mal de déversement. Les plus forts du monde en retrouvailles à l’infini.


Ce que les enfants ignoraient que je leur gardais en réserve, c’est qu’une autre partie de la famille vit en Israël. Des tout aussi charmants, tout aussi tendres, tout aussi proches. En Israël vivent les cousins de mon enfance. Et comme les enfants, nous nous sommes retrouvés comme si nous nous étions quittés la veille, les rires pleins de souvenirs inavouables et adolescents. Mes enfants n’en sont pas revenus. J’ai bien vu leur regard, d’où ils sortent, ceux là, mais ils connaissent ma mère ! Et d’instinct, pendant que nous nous retrouvions à l’étage des cousins, nos enfants se sont reconnus sur la branche des descendants.

 

Eternelle mayonnaise ! Magique brochette !

 


Rédigé par Victoria

Publié dans #Journal

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