Publié le 24 Septembre 2015

Holon, le 25 septembre

Ma chère petite soeur,

Meh’ila… Beurk. Mais qu’est-ce qui nous arrive ?

Moi, quand j’étais petite, le pardon, on l’implorait du ciel, avec humilité et jeûne et contrition, pendant qu’en gage de bonne foi, on pardonnait magnanimement à tous ceux qui nous pourrissaient bien la vie sur terre, sauf Raymond Bettoun et la Marthe Villalonga de Comme t’y es belle qui ne pouvaient s’y résoudre.

Internet aidant, la pensée s’est retournée comme un gant, régressive et ridicule. Puisqu’il faut méh’iler, méh’ilons, a écrit un ami à ma fille avant de lui souhaiter une année coulante comme une mlouh’ia et pimentée comme une tchouktchouka.

On va où là ?

Meh’ila... Je ne saurais te dire à quel point la valse de ces “pardons” hypocrites me consterne. Peut-on faire plus fourbe ? Pardon de ne t’avoir rien fait, hi hi hi, des fois que, éventuellement, par inadvertance, à l'insu de mon plein gré...

Quand nous n’avons jamais été si divisés et que notre discorde ne s’est jamais exprimée de façon si violente et si moche. Les électeurs de gauche ont-il meh’ilé les électeurs de droite ? Non, ça ne marche pas dans ce sens. Soit. Les électeurs de droite ont-ils meh’ilé ceux de gauche qu’ils n’aiment pas, insultent sciemment, dénigrent à tout-va, leur souhaitant à longueur de temps pis que pendre ? Non, n’est-ce pas ? Ah bravo.

Ne crois pas, je vais très bien. Certes, j’ai été grandement aidée dans mes réflexions métaphysiques par certaine personne qui m’a agressée verbalement cette semaine avec une telle mauvaise foi et une violence si incompréhensible qu’elle m’a laissée totalement déchirée, comme d’habitude, entre mes responsabilités diverses et variées et mon syndrome Cyrano, toujours lui, qui me commande irresponsablement de claquer les portes, le panache fier et le nez au vent, mais quand même.

Qu’ils sont loin les kippours de mon enfance, quand je croyais que ce jour noble entre tous était destiné à l’introspection, la réflexion sur le monde et sur soi-même, et que la remise en question était censée être si profonde, si intense, qu’elle devait occuper chaque seconde de ces 25 heures, sans laisser de temps pour rien d’autre, ni la nourriture, ni la toilette, ni rien.

Je trouvais ça beau, je trouvais ça grand, je n’étais jamais si heureuse que quand mes amies, toutes mes amies, quoi juives, quel rapport ? venaient vivre cette expérience élévatrice avec moi.

Quelle truffe.

Il n’empêche. Depuis que nous vivons en Israël, on ne se refait pas, Kippour reste chez nous un jour spécial de partage familial. Nous y accueillons chaque année les amis des enfants qui aiment j’en suis sûre autant l’esprit de réflexion de cette journée (puzzles, loup garou) que les patates confites du hamin traditionnel qui achève de caler dans l’huile les idées de tous.

Je m’enorgueillis de penser que certaine année, au cours d’une journée particulièrement longue où l’odeur du hamin en question devenait chaque seconde plus difficile à respirer, j’ai demandé finement quelle résolution non grasse pouvait sortir de tout ça, et d’une petite voix au milieu du tollé que j’ai soulevé, certaine fille nous a sidérés en nous avouant être brouillée depuis des années avec sa soeur aînée. Comme quoi… Le soir venu, après les patates dorées, cette petite a téléphoné à sa soeur.

Cette année, nous avons fait plus fort. Je préparais mon hamin, encore ?, quand mes pois chiches ont disparu. Volatilisés. J’ai commencé par chercher, puis ta nièce est allée en acheter avec sa copine, mais évidemment, tout était déjà fermé.

- Je vais aller demander à la voisine.

- Tu crois ?

- Oui. et comme c’est Kippour, je ne vais pas aller demander à la sympa, je vais aller demander à la peste.

J’adore cette petite.

Tu as bien lu. La peste d’à côté, celle-là même qui a tué son citronnier parce qu’ils donnait ses plus beaux fruits dans mon jardin, agresse mes enfants en permanence, a cassé mon tableau de Louise Brooks et a été sidérée quand j’ai tapé à sa porte l’année dernière pour lui dire que si elle voulait la guerre, (bravo maman ! yesh, enfin) eh bien, elle ne l’aurait pas parce que pour la guerre, il faut être deux et qu’elle était toute seule (mais… mais…), puisque je ne jouais pas à ce jeu-là, désolée (pff, maman, tu es irrécupérable), la peste d’à côté, donc, a été très touchée de nous donner et ses pois chiches et ses bons voeux et bien entendu, mes pois chiches perdus ont réapparu la seconde même du retour de ta nièce avec les pois chiches bénis de Sarah.

Le fait est qu’il est bien plus significatif de pardonner à ceux qui nous ont vraiment cassé les pieds que demander pardon à ceux auxquels nous n’avons rien fait.

Si au lieu d’attendre mystiquement que des portes s’ouvrent au ciel, nous ouvrions plus simplement nos coeurs sur terre, je suis sûre que le monde aurait des chances d’aller mieux.

Bon allez chérie, je te laisse. Je vais acheter un petit bouquet et aller rendre à Sarah ses pois chiches.

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Rédigé par Victoria

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Publié le 13 Septembre 2015

Il y a quoi... 2 ans ?

Sans blague, d'une année sur l'autre, qu'est-ce qu'il nous manque ?

Les masques (pour la poussière toxique).

Damoclès (celui-là, ça y est, il s'est cru chez lui).

Le miel (symbole) et les grenades (fruits).

Les blettes.

Là, si je me souviens bien, c'était en 2013. Mais peut-être 2012;

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Rédigé par Victoria

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Publié le 2 Septembre 2015

Lettre à ma soeur 66

Holon, le 2 septembre 2015

Ma chère petite soeur

C’est curieux l’héroïsme quand on y pense.

Ce moment particulier où ta conscience, ou ton inconscience, te pousse à décaler ton instinct de survie au profit de celui de la survie des autres, même d’autres que tu n’aimes pas, même d’autres que tu ne connais pas, même d’autres qui ne te sont rien, non juste parce qu’ils sont autres et que par là-même ils sont la vie dans ce qu’elle peut avoir de plus abstrait. C’est juste grandiose.

Parce que ce formidable et incompréhensible élan vers les autres va te faire dépasser ta peur de ta propre mort quand même. C’est beau.

Personne ne peut prétendre, ni même savoir s’il est un héros ou non, parce que l’héroïsme ne peut être le fruit d’aucun calcul.

Je sais de quoi je parle.

Comme nombre d’entre nous, j’ai longtemps cru en être une, d’ héroïne, confortée que j’étais dans cette aberration par l’histoire des chats.

Je suis sûre qu’on t’a raconté comment j’avais hébergé à Paris notre cousine R. avec son chat Caramel dans mon petit 20 m2 du quinzième, face à la tour Eiffel. J’avais bien avec moi Mimoune, un chat de ferme énorme et ronronnant, mais je pensais que dans ce décor factice, si éloigné des territoires de la nature, les animaux s’accommoderaient comme les humains. Il n’y a pas de raison. Et nous autres humains nous accommodions à merveille.

Notre tour était une sorte d’ONU revisitée qui s’était vendue sur plan, par tranche. Il y avait l’étage anglais, l’étage italien, l’étage espagnol, le suédois, l’allemand, le belge et la concierge était tchèque. Moi, je vivais à l’étage camerounais. Deux appartements somptueux et mon petit boui boui sur le même palier.

Un riche négociant de Yaoundé possédait l’étage tout entier. Le plus bel appartement lui était réservé pour quand il lui prenait l’envie de faire une petit virée parisienne. Dans le second s’entassaient dans l’exubérance ses enfants, plus beaux les uns que les autres, tous les garçons étudiants, toutes les filles mannequins, plus quelques réfugiés politiques maliens pour ceux qui étaient mes amis, les autres, je ne sais pas et je ne sais plus comment ni pourquoi mon petit ilôt s’était détaché de l’ensemble.

Cet étage était une merveille d’humanité. La famille africaine m’avait prise sous sa protection, nos portes étaient toujours ouvertes, nous échangions des livres, ils m’avaient juré qu’ils ne mangeraient jamais le chat, mais qu’il fallait que je fasse un peu gaffe parce que lui aimait beaucoup trop leur poulet. C’est Ibrahim qui me fit découvrir le choc du futur d’Alvin Toffler, lui aussi qui m’offrit le Coran en m’accompagnant chez ma tante un soir de Pâques. Bref que les chats puissent se comporter comme des hyènes ne m’avait même pas seulement effleuré l’esprit. C’est pourtant ce qu’ils firent. Alors que nous sirotions un petit thé au salon, la porte de la salle de bains où nous avions installé Caramel s’ouvrit et Mimoune se jeta sur l’intrus comme un furieux. Notre jeune cousine qui s’était précipitée poussa un hurlement, ce qu’il ne faut pas faire, les deux chats la mêlèrent à leur bagarre. Oui, car les chats quand ils se battent ferment les yeux, donc si tu cries, tu en es. Il faut le savoir.

Sans penser à rien, je me suis jetée dans la mêlée.

Caramel avait planté ses griffes dans la jambe gauche de la petite douce, ce qui n’est pas sympa mais pas mortel, par contre mon Mimoune qui le faisait deux fois de base et en colère, 3, avait planté ses crocs dans sa cuisse droite. Et comme il avait de bonnes dents, il avait du sectionner une veine, parce que le sang giclait par à-coups jusqu’au plafond. Je ne sais pas exactement comment, mais j’ai réussi à détourner les crocs du monstre sur mon bras, et une autre veine, une, et munie de ma perfusion en bandoulière, je suis retournée au salon. Là, je lui ai doucement caressé la tête, il a ouvert les yeux, a vu que c’était moi et tout contrit, a plaqué ses oreilles et lâché mon bras.

Mon bras puisqu’on en parle avait une drôle de forme, comme une flasque vidée, quand les pompiers sont arrivés, ils l’ont regardé, ont vu ma cousine avec sa jambe que j’avais garrottée tant bien que mal d’une main, le sang qui gouttait sur les murs, et je pense qu’ils ne m’ont jamais crue quand je leur ai dit que tout ça était l’oeuvre de la peluche qui dormait sur le sofa. Caramel quant à lui, avait compté ses vies avant de se jeter en confiance du 9ème étage.

Je suis restée avec une balafre de 6 cm sur l’avant-bras et l’idée confortable que j’avais les bons réflexes quand il le fallait.

Jusqu’à notre arrivée en Israël.

Quand je suis allée, lors du n.ième déménagement, avec ton neveu de 15 ans récupérer des clés chez un propriétaire, j’ai bien vu que la cabane à outil dans le jardin avait une forme un peu bizarre, tu parles, c’était la niche du chien de Hagrid. J’ai sonné à la porte, on a ouvert et m’a bondi dessus un dogue allemand haut comme un âne, tous crocs dehors.

Une fois encore, réflexe, n’écoutant que mon courage, je me suis jetée sur le côté, offrant ainsi au monstre mon fils qui se tenait juste derrière moi.

L’histoire est très enjolivée aujourd'hui et je crois que dans la dernière version, ton neveu raconte carrément que je l’ai empoigné pour le jeter devant la bête. C’est faux… mais c’est tout comme. En me jetant de côté, j’ai manifesté mon instinct de survie sans un seul instant penser à mon fils. Je ne suis pas un héros et mon fils ma bataille condensés en 3 secondes d’éternité ineffaçables. Quelle honte. Ton neveu a survécu à la trahison de sa mère et s’en est sorti avec une léchouille copieuse du visage (ça, c’est pour le “tu m’as jeté devant”) parce que la bête, en vrai, était un tendre, mais quand même.

Héroïne en bois.

Mes petites histoires avec leurs contextes ridicules me ramènent à tout ce qui s’écrit depuis quelques temps sur l’héroïsme et les héros. Les vrais héros ne sont pas forcément merveilleux, pas forcément beaux, pas forcément musclés ni même courageux. Certes. Ils sont juste capables de cette noblesse, de cette élévation de l’âme, capables, au moment décidé par le sort, de s'oublier pour ne penser qu'aux autres, s'oublier assez pour se dresser, même tout petits, même tout seuls, face au mal, face à la barbarie, à la force aveugle, même quand la mort est la seule issue possible. Ça donne le frisson.

S'oublier assez pour, dans un train par exemple, malgré sa mitraillette en bandoulière, se précipiter sur le cutter d’un malheureux très très suspect, comme l’ont fait Spencer Stone, Alek Skarlatos et Anthony Sadler, pile poil après que le pauvre bougre ait compris l'utilisation possible du matériel de guerre trouvé dans un sac sous un siège, ce que c'est que le hasard quand même. Ou comme Chris Norman, s'oublier assez pour sortir de là où on s’était caché et se jeter dans la mêlée pour venir prêter main forte aux premiers.

S’'oublier assez pour se dresser face au surarmement d'une créature vidée de sa conscience et de son jugement, surexcitée et hallucinée, n'importe où, même dans une épicerie parisienne, sans rien attendre, au prix de sa vie. Je pense au jeune Yohan Cohen, certain jour froid de janvier dernier, qui a voulu s’interposer face à la brute, au charmant Yohav Hattab, qui lui a subtilisé une de ses armes, combien émouvants, combien fragiles sont nos héros morts, c’était comment déjà la phrase de Malraux ? “le tombeau des héros est le coeur des vivants “?

S’oublier assez surtout pour accepter que nous ne nous souvenions pas…

Les héros n'ont que faire de notre reconnaissance. Ça tombe bien car tous ne sont pas reconnus. Comme disait l’autre… “malheureux le pays qui a besoin de héros...”.

Prends soin de toi, chérie.





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Rédigé par Victoria

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