Publié le 21 Septembre 2014

Marseille, le 20 septembre.

Ma chère petite soeur,

Si longtemps que je n’avais pas vu ce côté-ci de la Méditerranée… La falaise calcaire blanche qui plonge dans l'eau foncée sous le ciel d’un bleu si franc. Les pins parasols accrochés à flanc de roche. L’ambiance garrigue qui fleure bon la farigoule et le romarin de Pagnol. Le bar de la Marine qui appelle le pastis.

Peuchère, tu ne vas rien reconnaître, m’avait-on dit.

Mais c’est quoi, cette histoire, je reconnais tout, moi.

Marseille est immuable sous le soleil avec ses forts et ses bâtisses cossues. Ses aplats de couleurs qui jadis déjà, ont inspiré les impressionnistes. Sa géométrie franche, avec ces gros cubes, ces formes lourdes écrasées par les ocres et les jaunes, sa végétation installée avec ces verts profonds comme de l’émeraude, j’avais presque oublié ces racines solides, cet air vif, cette prestance basanée et trapue des choses comme des gens. Dans la ville de mon enfance, il ne faisait pas bon avoir les attaches fines et la peau bronzée comme un évier ! Té, cette fille, c’est pas une fille, c’est un stoquefiche, un haricot ou une asperge, selon.

J’ai déambulé dans le quartier de mon adolescence. Rien n’a seulement bougé. Le magasin de la Presse est toujours en face de mon lycée. Les boulangeries jalonnent toujours le parcours jusqu’à la maison des parents. Je suis allée embrasser la voisine avant de monter. La même avec son accéant préciyeux d’intellectuhelle marseyèze.

Je ressens juste une curieuse impression face aux textes de la signalétique, ils sont devenus primaires comme les couleurs et trapus comme les gens, trop lisibles. D’ailleurs, la question est bonne, les textes sont-ils vraiment plus lisibles quand les corps de polices de caractères sont ainsi éclatés ? Que cache cette tendance graphique simplissime, cette pseudo-clarté des formes, cette lisibilité outrée de maternelle, quand l’alphabet, rond et sans surprise, occupe tout l’espace, tous les espaces ? C’est comme si l’écrit avait été curieusement passé à la loupe. Je ne peux m’empêcher de me demander, mince, dans une Europe aveuglée, ma Marseille est-elle devenue une ville de myopes ?

En attendant, une nouvelle année se profile, va commencer.

J’aime bien cette saison des pieux mensonges et des bons voeux.

Des fadas s’arment à nos portes pour instaurer Iznogood au pays de la reine de coeur d’Alice et nous allons sucrer nos légumes avec une pointe de cannelle.

La construction des tunnels a repris, a-t-elle seulement jamais cessé et nous allons faire de la confiture d’aubergines et de la pâte de coing.

Les roquettes allègrement s’assaisonnent et nous allons candidement tremper nos pommes dans le miel.

Innocemment installés dans le viseur, nous allons célébrer la grenade et ses grains juteux et nombreux comme autant de belles actions. D’aucuns prétendent qu’ils sont au nombre de 613, ces grains si colorés, je ne sais pas, je n’ai jamais pu compter et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Tu parles comme la vie serait douce si chacun faisait non pas 613, mais juste 365 actions même pas intelligentes, non, juste raisonnées, dans le genre tiens, aujourd’hui, je ne couperai aucune tête, au propre comme au figuré, 365 actions humaines, 365 actions positives dont on n’ait pas à se justifier et que l’on n’ait jamais à regretter.


La vie serait tellement plus facile, tellement plus... si, au pays des Grenadines repentantes de Guillaume Apollinaire, la grenade était moins touchante en nos effroyables jardins...

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Rédigé par Victoria

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Publié le 16 Septembre 2014

Lettre à ma soeur. 23.

Holon, ce soir

Ma chère petite soeur,

J’ai essayé de me souvenir pourquoi j’ai commencé à t’écrire.

L’envie d’apaiser tes craintes nées de l'éloignement pour moi l’Israélienne, sans doute.

L’envie surtout de ramener une situation tragique à sa réalité quotidienne, d’autant que j’étais inquiète aussi pour toi en France. Que je le suis toujours…

Parce que j'éprouve pour toi cette irrépressible envie de protéger les plus jeunes que ressentent toutes les grandes soeurs.

Un peu tout ça ensemble, j'imagine.

Non qu’elles aient été totalement infondées, tes craintes, note… Mais j’habite dans le centre du pays, disons qu’elles étaient un peu… disproportionnées. Tu connais mon sens de la justice et de la vérité.

A ce propos, tu veux savoir pourquoi mon blog s'appelle un cerf-volant sans fil ? Parce que c'est ainsi que m'a définie mon premier ami israélien. Je ne crois pas que c'était un compliment, mais à la réflexion, j'ai décidé que la formule me convenait et que je ne voulais pas me comporter autrement, du moment que c'est coloré, que ça vole et que c'est haut !

Le fait est que j’ai changé, cet été. Je ne suis pas tout à fait sûre que ce soit en mieux, mais j’ai changé… Comme en France où, en tant que fille du Sud, je n’ai jamais vraiment compris les Parisiens, peuchère, je crois qu’ici aussi, comme nombre d’Israéliens, je suis devenue cet été une femme du Sud. Ca n’a rien à voir, je sais, mais je me comprends.

Pourtant Dieu sait si j’aime et fantasme sur cette étonnante et libre cité qu’est Tel Aviv, mais entendre mes voisins citadins y jouer les héros blasés cet été m’a, je dois l’avouer, considérablement agacée. Comme je n'ai pas très bien compris tous ces gens qui ont mis le signal d’alerte sur leur mobile, y compris en France. Cette angoisse noble, ce courage intelligent, ce désir de vivre plus fort que tout, et merde, tant pis, soyons fous, allons quand même à la plage… J'ai trouvé tout ça aussi attendrissant qu’énervant.

En fait, j’ai enfin compris cette exaspération que nous, cornichons pseudo-intellectuels des villes du centre, nous inspirons aux gens du Sud. Qui, eux, ont passé un été en guerre, comme ils avaient passé avant d’innombrables saisons sous les missiles sans que le monde, nous y compris, ne s’en émeuve plus que ça. Eux qui ont pleinement exploité leurs abris, parce que maintenant, ils maîtrisent, pas totalement d’un point de vue psychologique, certes, mais techniquement parés. Eux qui ne sont pas allés à la plage, non pas parce qu’ils n’éprouvent pas ce désir de vivre malgré tout plus fort que tout, non, non, non, mais plutôt parce qu’entre deux alertes, quinze secondes pour rallier l’abri, dix minutes à attendre les retombées diverses et variées possibles, le temps de sortir la tête et déjà la prochaine, alors même avec la meilleure volonté du monde, il n’y a pas moyen de trouver le temps ni le souffle de gonfler le matelas. D’autant qu’à Zikim, pour ne citer que cette plage, il y avait aussi cette perspective peu ragoûtante de croiser dans l’eau les sportifs gazaouis qui crawlaient allègrement dans les eaux israéliennes et les kibbutznikim fatigués n’étaient pas tout à fait sûrs de parvenir à tenir la distance sans palmes...

J’ai entendu à Carmia cette conversation surréaliste entre nos deux tantes qui n’ont pas du tout, mais alors pas du tout aimé cette histoire de tunnels. Et à Carmia, ne pas aimer les tunnels, ça a du sens, parce qu’entre Carmia et Gaza, il y a quoi, allez, 3 kilomètres ? La première, paysagiste de son état, disait avec une réelle inquiétude. Bon. Je suis en train de biner dans un parterre de fleurs du kibboutz. Bon. Je bine. A ce moment là, je vois la tête d’un homme qui sort du sol. Je fais quoi ?

- Tu n’hésites pas. Coup de pelle.

- Dis-moi que tu plaisantes. Je panique devant une grenouille. Comment tu veux que je touche un homme ?

- Pardon. J’ai dit ça comme ça… C’est sûr que c’est un vrai problème.

- Oui. Je ne serai plus jamais sereine dans les parterres de fleurs... Imagine qu'en plus, je le connaisse !

- Il ne te restera plus qu'à lui servir un thé.

Parce que les Gazaouis qui ont été ouvriers agricoles dans ce kibboutz sont aussi ceux qui ont construit les abris entre 2007 et 2008. Situation surréaliste...

Pendant ce temps, à Tel Aviv, mes copines buvaient leur café en terrasse. Quand une alerte a commencé. Et disproportionné ou pas, dôme de fer ou pas, quinze secondes ou une minute trente, c’est hyper anxiogène, en vrai, une alerte. Alors, un rien paniquées, elles se sont précipitées sur le barman qui, imperturbable, continuait à essuyer ses verres.

- On fait quoi ?

Et le type sans même lever les yeux de son torchon.

- Vous voyez le chien, là ?

- Oui.

- Suivez-le. Il connaît le chemin.

Et les deux, suivies de six ou sept clients hallucinés ont docilement suivi Ytsik-Médor qui les a conduits dans un réduit derrière l’escalier. Là, se trouvaient déjà les mamies du salon de coiffure voisin, dont une, en plein milieu d’une séance manucure pédicure teinture, c’est à dire de l’alu plein les cheveux, les mains papillonnantes comme deux ailes et marchant sur les talons, les orteils écartelés au coton. Est alors arrivé le mignon coiffeur, très à l’aise avec son petit bol de teinture qu’il continuait de touiller allègrement et agitant son pinceau, Tali, viens, assieds-toi ici, je vais te remettre un petit coup sur la frange…

Pendant qu’à Gaza, nos enfants tombaient sous l’uniforme et que, n’en déplaise aux imbéciles, notre coeur saignait pour toute cette souffrance… Je pensais très fort à Paul Nizan et à ses premières phrases dans Aden, Arabie qui depuis toujours, me bouleversent, et aujourd’hui plus que jamais…

“J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde. A quoi ressemblait notre monde ? Il avait l’air du chaos que les Grecs mettaient à l’origine de l’univers dans les nuées de fabrication. Seulement on croyait y voir le commencement de la fin, de la vraie fin, et non de celle qui est le commencement d’un commencement.”

Paul Nizan est mort jeune, lors de la bataille de Dunkerque en 40...

Voilà chérie. C’est tout ça que, du fond de mon chagrin, j'ai voulu partager avec toi.


Prends soin de toi.

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Rédigé par Victoria

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Publié le 13 Septembre 2014

Lettre à ma soeur. 22.

Holon, le 12 septembre

Ma chère petite soeur,

Je suis sans nouvelles depuis un moment maintenant de mon ami Ofer.

T’ai-je déjà parlé de Ofer ?

Il a poussé un jour la porte de la galerie, il était tout mignon avec son petit chapeau, il a tourné un peu et puis il m’a dit, il va falloir que je t’achète quelque chose.

- Tu n’es vraiment pas obligé.

- Si. J’aime quand on s’achète entre nous.

Entre nous ? Mais… Ofer est peintre, Ofer est israélien.

Alors tu parles, qu’il m’inclue dans son nous, même si je ne sais pas lequel c’était, ça m’a fait vraiment chaud au coeur.

Ofer m’a apprivoisée avant de me raconter son histoire.

Il a commencé par venir à la galerie, chaque jour un peu, avec son petit chapeau, toujours, et son hébreu d’intellectuel. Et toujours, un petit quelque chose de doux, de sucré, de tendre, un ice coffee, un ananas, une fleur, des chocolats, qu’il posait négligemment sur le bureau, tiens, ça, c’est pour toi, avant de s’asseoir en croisant les jambes.

- Tu sais pourquoi je m’appelle Sarenka ?

- Non ?

- Ca veut dire un faon en polonais. C’était le totem de ma tante à Varsovie. Alors ma mère m’a appelé Ofer en sa mémoire, parce que Ofer, ça veut aussi dire un faon en hébreu.

Une famille entière de bambis…

C’est comme ça qu’il a commencé à me parler de sa tante.

On l’appelait Sarenka, sans doute à cause de sa douceur, à cause de ses yeux, aussi, probablement. Mais la vie ne l’a pas laissée rester douce. La vie est rarement tendre avec les bambis.

- Tu savais qu’au début Yom HaShoah n’était pas Yom HaShoah ?

- Tu veux dire que ça n’a pas toujours été le jour de commémoration de la Shoah ?

- Exactement, au début, ce n’était pas cela du tout.

- Mais c’était quoi alors ?

- C’était Yom HaGvura, la journée de l’héroïsme.

- J’ai honte de dire que je ne savais pas, mais j’adore l’idée…

- C’était très exactement le jour de commémoration de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Ca allait avec l’esprit du pays, on célébrait ceux qui s’étaient battus, même si c’était voué à l’échec, surtout si c’était voué à l’échec peut-être même, parce que c’est peut-être ça, le courage, ne jamais baisser les bras, même si tout semble perdu d’avance, se dresser haut et fort et ne jamais se rendre.

- Mais à quel moment on a laissé tomber l’héroïsme ?

- On ne l’a jamais vraiment laissé tomber… Mais peu à peu, on a rajouté dans le souvenir la mémoire de toutes les victimes et on a raccourci l’intitulé. Mais ça s’appelle toujours aujourd’hui Yom HaShoah veHaGvura.

Mais de quoi il parlait ? J’avoue, je me suis jetée sur Google. Mmmmm.... Officiellement dénommé Yom hazikaron laShoah velaGvura, le jour du souvenir de l’holocauste et de l’héroïsme… Qui a osé raccourcir ? Et quand ?

J’ai pensé à Elie, le cousin de notre père qui avait 19 ans quand il a été déporté avec l’oncle Jacques. Le point de l’histoire qui me bouleverse le plus, qui m’a toujours le plus bouleversée, c’est de savoir que quand le train est resté bloqué, bloqué où déjà ? à Drancy ? à la frontière allemande, je ne sais plus, qu’importe, je sais juste qu’à ce moment-là, ils avaient tous compris qu’ils étaient dans un mauvais cas, et quand le train s’est arrêté en rase campagne, quelques minutes, quelques secondes, et que les copains marseillais se sont jetés dehors, ils ont chuchoté de toutes leurs forces, vas-y Elie, saute, vite, mais Elie a regardé par dessus son épaule et il a compris en un instant que son père ne pourrait pas le faire alors sans hésiter il a dit, non, je reste avec mon père. Il n’a pas sauté et le train est reparti.

Cette infime seconde qui fait de toi un autre, cet instant d’éternité où tu t’oublies toi-même, où en réalité, tu deviens enfin celui que tu es vraiment. Gvura...

Tu parles si ça m’a parlé…

Alors quand Ofer m’a proposé d’aller visiter son atelier, je l’ai suivi sans plus attendre. Je voulais voir les yeux de sa Sarenka…

Je les ai vus, ses yeux, et j’ai compris qu’ils le hantent… Tant de douceur. Tant d’innocence. Tant de détermination aussi.

Le studio d’Ofer, c’est aussi son appartement, mais l’homme est infiniment plus habité que sa maison… Sur la table, des livres ouverts, aux murs gris, des affiches et des toiles multicolores, des montages de photos en noir et blanc, des sourires, des poses, des éclatements de formes, de spirales, de labyrinthes, une mosaïque psychédélique de questions. Ofer est un maître de la couleur, et ses oeuvres sont toutes de rouge, de jaune, de bleu, d’or, mais l’ensemble reste étonnamment tragique et sombre parce que la porte d’Aushwitz, tu peux toujours la barioler, elle est pour toujours la porte de l’enfer, si tu vois ce que je veux dire…

Sans ôter son chapeau, mais peut-être était-ce parce que j’étais là, Ofer s’est assis face aux toiles en buvant de la soupe, elle est bonne, tu es sûre que tu n’en veux pas ? et il a regardé sa Sarenka dans les yeux.

Sarenka… C’est pour elle que depuis des années, il cherche Maya.

Tu vas me demander qui est Maya ? J’ai demandé aussi.

Il me l’a montrée dans toutes les toiles. Une petite forme monochrome un peu floue, aux contours vagues parfois, mais toujours vive et omniprésente. Son fil rouge à lui.

Oui, oui, elle est là aussi… Et là, tu la vois ?

C’est souvent un jeu d’artiste, ça. Alon, dans son beau studio de l’avenue de Jérusalem sur la plage, s’amuse à cacher une spatule triangulaire dans chacune de ses oeuvres. On raconte que Walt Disney jouait avec les oreilles de Mickey et les réalisateurs de cinéma, depuis Hitchcock qui s’amusait tant à apparaître dans ses films que certaines de ses figurations sont plus célèbres que ses histoires, sont de plus en plus nombreux à se la jouer caméos, de Martin Scorcese à Quentin Tarentino en passant par Cédric Klapisch et Steven Spielberg qui, tous, apparaissent dans chacun de leurs films. Trouve Charlie, version intello… Ofer, lui, son Charlie, c’est Maya, la petite Maya qu’il place dans toutes ses toiles.

Qui est Maya ?

Pas maintenant. Pas comme ça. Voyons-nous demain, je te raconterai Maya.

J’ai dû attendre le lendemain…

Prends soin de toi, chérie.

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Rédigé par Victoria

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Publié le 10 Septembre 2014

Holon, le 10 septembre 2014

Ma chère petite soeur,

J’essaie aujourd’hui de me remettre de la journée d’hier…

Une journée qui commençait bien, pourtant.

Je comptais la passer sur le nouveau vélo de la famille, cette journée ensoleillée (caniculaire). Un vélo pimpant, avec des petites roues (mais alors toutes petites), souple (le guidon a un peu de jeu), modulable (pliant), avec un très pratique petit panier que le marchand m’a obligeamment placé pile poil sur la lumière avant (ce sont des choses qui arrivent). Sobre avec ça (noir), d’humeur égale (sans vitesses) et surtout résolument sportif (pas de rétropédalage). Une merveille.

Jusqu’au coup de téléphone de 8h02. Une secrétaire d’avocat qui m’annonçait un procès à venir ou en cours, je n’ai pas bien compris, pour une somme inimaginable que je dois aux urgences de l’hôpital de Holon.

C’était vraiment opportun de me rappeler ma pseudo-attaque cardiaque le jour où je prends le vélo, je te jure.

Ce n’était pas une vraie attaque cardiaque, tu t’en souviens, comme ce n’est pas un vrai vélo, comme, je l’espère, ce ne sera pas un vrai procès. En même temps, ça tombe bien, j’avais un peu de temps devant moi pour aller vérifier à la caisse maladie locale, qu'on appelle ici caisse des malades, la bien-nommée ! et en rapporter je ne sais quel papier au secrétariat de l’hôpital pour cette histoire dont je n’ai aucun souvenir pour plusieurs raisons, la meilleure sans doute étant qu’elle remonte à 2009. Je vais essayer de caser ça la semaine prochaine.

Ca me fait penser que dans mon courrier d'hier, il y avait une invitation à un stage, à la poursuite des voleurs de temps, apprendre à gérer son temps, enfin, quelque chose comme ça. J'aurais pu leur faire une conférence sur le sujet, Sénèque à l'appui, mais bon, dans le contexte, même en courant, plus vite que le vent, plus vite que le temps, même, en cent ans, je n'aurai pas le temps d'y penser seulement... Dommage.

Du coup, tout ça m’a redonné le peps qui me manquait pour attaquer la mairie que j’aurais été bien capable encore de reporter… même si c’était prévu de toutes façons, un de mes élèves habite tout près et je ne peux quand même pas pédaler plus vite à chaque fois que je longe cette jolie bâtisse indéfiniment… Mantra de la semaine, en finir avec toutes ces tracasseries administratives si passionnantes à résoudre, si passionnantes à résoudre sont ces tracasseries administratives qu’il vaut mieux en finir. Mmmm même le mantra donne envie de se pendre. En finir.

Pour me donner du courage, j'ai fait une petite halte à la librairie française du coin. J'ai trouvé quelques livres pour mes élèves et surtout, un livre pour Julie, que mystérieusement, nous n'avions pas. Que je n'ai jamais vu soit dit en passant sur aucune étagère d'aucune bibliothèque. La Bible ! Sans rire. Il fallait au moins ça de toute façon.

14h, j’étais donc à la mairie.

Haïm, le charmant de l’entrée m’a souri, te revoilà, toi ?

Mon sourire, je le crains, devait être un peu grimaçant, car il a ri, allez, ça va aller, tu vas voir.

Direction le cinquième. Mais Nathalie, la petite mignonne qui avait dit qu’elle m’aiderait à écrire ma lettre n’était pas là. Ses deux collègues, Odélia et Yossi (impossible d’avoir des baskets aussi fluos sans s’appeler Yossi) m’ont gentiment fait asseoir.

- Tu veux que je te donne un conseil ? m’a demandé Odélia.

- Euh…

- C’est le même prix, a souri Yossi.

- Vas-y.

- Paie ce qu’on te demande, et ensuite, écris ta lettre tranquille.

- Même pas en rêve (tu sens comment je deviens israélienne ?).

- Comme tu veux. Yossi va t’écrire ta lettre.

- En réalité, elle est déjà écrite, il faut juste la remettre à la première personne.

- Ah oui, c’est vrai. Allons-y.

Yossi est aussi adorable et patient qu’il ne devait pas être bon en grammaire à l’école (mais ça, je m’en étais doutée à la couleur des baskets) et il nous a fallu plus d’une interminable demi-heure pour recopier les dix lignes qu’il m’a dictées lettre à lettre, le flacon de tipex à la main.

Dix lignes dans lesquelles j’ai écrit trois fois mon numéro de téouda zéout (intraduisible) parce que Yossi en est un vrai, lui, d’israélien, qui sait comment ça marche.

Evidemment, avec tout ça, quand on a fini, le bureau du 4ème auquel je devais remettre la lettre était fermé.

Reviens demain, s’est réjoui Haïm en me glissant son numéro de téléphone sur un bout de papier (La Bible et les livres dans mon sac pesaient une tonne, je n'étais plus à une feuille près).

Oui, mais demain, c’est aujourd’hui et aujourd’hui, je devais aller à la banque essayer d’expliquer au banquier qu’une somme versée depuis sept ans sur mon compte à la même période avait inexplicablement été virée ailleurs où je dois, maintenant (quand ??) aller la récupérer. Il ne va jamais me croire. Ou plutôt si, d’ailleurs. Et il va bien rire.

Bon. Tu sais quoi ? Je n’ai rien fait aujourd’hui. Je t’ai écrit. Et là, je vais juste aller sur mon beau vélo Sarah Kay visiter la nouvelle galerie.

Prends soin de toi, chérie.

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Rédigé par Victoria

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Publié le 4 Septembre 2014

Holon, le 4 septembre

Ma chère petite soeur

Il y a ici un invraisemblable condensé d’histoires extraordinaires.

Et le plus invraisemblable, c’est que les gens ne sont pas avares de leurs histoires et qu’ils te les balancent comme ça, au détour d’un banc, d’un arbre, d’une rue (tu as entendu la musique ?), plus souvent encore d’une limonana en terrasse, d’une rencontre fortuite, sans crier gare, alors que tu n’es pas du tout préparée et que tu ne t’y attends pas, ils se penchent vers toi. Ils ne t’ont jamais vue, ils ne te reverront jamais et ils partagent avec toi un petit moment d’éternité. Tu ne sais pas toujours quoi en faire, c’est souvent si émouvant… Alors tu hoches la tête, tu bois nerveusement une petite gorgée de mousse de café, tu souris, ils se lèvent et s’en vont et toi, tu te retrouves transportée en Pologne, en Russie, en Ouzbékistan ou même à Sanaa au Yémen, à des époques révolues, mon dieu, sont-elles seulement révolues ?

Attention, ça n’empêche pas du tout les escrocs d’être des escrocs de haut-vol et les imbéciles d’être des crétins intersidéraux, non, je ne sais pas. C’est tout ensemble. Ca me fait penser à une histoire facebook que j’ai lue cette semaine, une famille de deux parents avec leurs cinq ou six enfants qui ont fait leur alyah cet été et qui se sont retrouvés en galère parce que leur appartement n’était pas prêt. Et un internaute empli de compassion a lancé un appel au secours pour eux, mais compassion mizrahie, tu vois, pathétique de chez pathétique, et les gens se sont mobilisés en panique orientale et au final, après quoi, quinze messages surexcités, la petite famille en détresse a été relogée ou on leur a prêté un appartement, je ne sais plus, parce que “le am israël est uni comme les cinq doigts de la main”. Suivi de l’indécrottable “Merci pour eux”.

Parfois, je n’arrive pas à décider si je nous aime ou si je nous déteste…

Au Ministère de l’Intérieur ce matin, par contre, sans hésitation possible, je nous ai aimés.

Parce que bon, ton neveu a finalement eue sa carte d’identité, d’une manière bizarre et un rien frustrante, certes, mais il l'a eue. Pourquoi frustrante ? Parce qu'un petit mignon de la famille à qui nous servions notre sketche, tu sais, celui de la balle de ping pong entre Holon et Natanya, a dit d’un ton docte, “Frérot, je ne peux pas te laisser comme ça” et il est venu ttt, ttt, à Holon. Il a attendu très sagement avec mon fils jusqu’à ce que la fréha manucurée habituelle les repère au bout d’une heure et demie et tance mon fils. “Tu es revenu pourquoi, on t’a dit que c’était pas chez nous”. Et là, le petit mignon cousin s’est transformé en hyène et il a hurlé sur la fréha que des gens comme elles, c’était à vous couper l’envie d’être honnête, et d’autres choses que moi, je n’ose même pas penser et il a crié si fort et si bien, que des bureaux qu’on n’avait jamais vus se sont ouverts, “Qu’est-ce qui se passe ici ?” “Fils, pourquoi, tu t’énerves ?”. Et en deux coups de cuiller à pot, mon fils heureux comme un pape (tu crois qu’il va falloir dire comme un calife, maintenant ?), mon fils donc est ressorti avec sa carte d’identité, celle-là même qu’on l’avait assuré impossible d’obtenir, toute neuve et toute bleue.

“Tu vois, frère, il ne faut pas s’énerver”, a dit le mignon cousin en hochant la tête. “Mais tu dois apprendre à travailler ton cri.”

Ce matin, donc, en allant pour renouveler les passeports, je me suis préparée psychologiquement. Une petite chamomille, un carré de chocolat, la gousse d’ail était au dessus de mes forces mais j’y ai sérieusement pensé, et en avant.

Et là. Grand mystère. Le vigile de l’entrée se souvenait carrément de mon prénom, la fille de l’accueil m’a demandé des nouvelles de Lucas et m’a fait un clin d’oeil, tiens, va directement là-bas, pas la peine d’attendre. Mais je n’ai aucun papier à remplir ? Pas la peine, on te connaît, regarde, la machine imprime toute seule. Un enchantement. Comment ? Tu veux renouveler aussi le passeport de ta fille ? Mais il faut qu’elle soit là pour signer. Regarde, on garde tout ici, appelle le lycée, dis que tu passes la prendre, tu en as pour un quart d’heure, elle vient directement signer, je prépare tout pendant que tu vas la chercher. Une demie-heure montre en main, l’aller-retour pour aller chercher Julie inclus. Et bien entendu, reclin d’oeil du vigile à chacun de mes passages, le dernier plus appuyé d’ailleurs, puisque j’étais avec ma blondinette d’amour et que ce clin d’oeil-là, c’est elle qui y a eu droit, accompagné d’un “Au revoir Chochanna” que je n’ai pas compris.

“Qu’est-ce qu’il a dit ?”

“Au revoir Chochanna, maman, c’est dans Inglorius Bastards.”

“Il y a une Chochanna dans Inglorius Bastards ?”

“Mélanie Laurent, maman”.

Un enchantement, je te dis.

Prends soin de toi, chérie.

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Rédigé par Victoria

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