Publié le 21 Septembre 2014
Marseille, le 20 septembre.
Ma chère petite soeur,
Si longtemps que je n’avais pas vu ce côté-ci de la Méditerranée… La falaise calcaire blanche qui plonge dans l'eau foncée sous le ciel d’un bleu si franc. Les pins parasols accrochés à flanc de roche. L’ambiance garrigue qui fleure bon la farigoule et le romarin de Pagnol. Le bar de la Marine qui appelle le pastis.
Peuchère, tu ne vas rien reconnaître, m’avait-on dit.
Mais c’est quoi, cette histoire, je reconnais tout, moi.
Marseille est immuable sous le soleil avec ses forts et ses bâtisses cossues. Ses aplats de couleurs qui jadis déjà, ont inspiré les impressionnistes. Sa géométrie franche, avec ces gros cubes, ces formes lourdes écrasées par les ocres et les jaunes, sa végétation installée avec ces verts profonds comme de l’émeraude, j’avais presque oublié ces racines solides, cet air vif, cette prestance basanée et trapue des choses comme des gens. Dans la ville de mon enfance, il ne faisait pas bon avoir les attaches fines et la peau bronzée comme un évier ! Té, cette fille, c’est pas une fille, c’est un stoquefiche, un haricot ou une asperge, selon.
J’ai déambulé dans le quartier de mon adolescence. Rien n’a seulement bougé. Le magasin de la Presse est toujours en face de mon lycée. Les boulangeries jalonnent toujours le parcours jusqu’à la maison des parents. Je suis allée embrasser la voisine avant de monter. La même avec son accéant préciyeux d’intellectuhelle marseyèze.
Je ressens juste une curieuse impression face aux textes de la signalétique, ils sont devenus primaires comme les couleurs et trapus comme les gens, trop lisibles. D’ailleurs, la question est bonne, les textes sont-ils vraiment plus lisibles quand les corps de polices de caractères sont ainsi éclatés ? Que cache cette tendance graphique simplissime, cette pseudo-clarté des formes, cette lisibilité outrée de maternelle, quand l’alphabet, rond et sans surprise, occupe tout l’espace, tous les espaces ? C’est comme si l’écrit avait été curieusement passé à la loupe. Je ne peux m’empêcher de me demander, mince, dans une Europe aveuglée, ma Marseille est-elle devenue une ville de myopes ?
En attendant, une nouvelle année se profile, va commencer.
J’aime bien cette saison des pieux mensonges et des bons voeux.
Des fadas s’arment à nos portes pour instaurer Iznogood au pays de la reine de coeur d’Alice et nous allons sucrer nos légumes avec une pointe de cannelle.
La construction des tunnels a repris, a-t-elle seulement jamais cessé et nous allons faire de la confiture d’aubergines et de la pâte de coing.
Les roquettes allègrement s’assaisonnent et nous allons candidement tremper nos pommes dans le miel.
Innocemment installés dans le viseur, nous allons célébrer la grenade et ses grains juteux et nombreux comme autant de belles actions. D’aucuns prétendent qu’ils sont au nombre de 613, ces grains si colorés, je ne sais pas, je n’ai jamais pu compter et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Tu parles comme la vie serait douce si chacun faisait non pas 613, mais juste 365 actions même pas intelligentes, non, juste raisonnées, dans le genre tiens, aujourd’hui, je ne couperai aucune tête, au propre comme au figuré, 365 actions humaines, 365 actions positives dont on n’ait pas à se justifier et que l’on n’ait jamais à regretter.
La vie serait tellement plus facile, tellement plus... si, au pays des Grenadines repentantes de Guillaume Apollinaire, la grenade était moins touchante en nos effroyables jardins...