Publié le 27 Janvier 2015

Holon, le 26 janvier.

Ma chère petite soeur.

Il paraît que le traité sur la tolérance de Voltaire est redevenu un best-seller dans la France de Charlie. Et nous savons bien que quand la France sort ses vieux penseurs du placard, c'est que l'heure est grave...

Plus grave encore qu'on ne pense.

Parce que Voltaire, c'est la France à lui tout seul. Humaniste, brillant, libertaire, teigneux, vindicatif et surtout profondément, viscéralement antisémite. Tout cela ensemble. Sans qu'aucun élément ne contredise aucun autre.

C'est ça probablement le vrai génie français. Tout et son contraire. Le chaud et le froid. Le bien et le mal. Le rire et les larmes.



Oui, oui, je pèse mes mots. La France c'est tout à la fois le panache de Cyrano et la méchanceté indigne de la Fichini qui fit les malheurs de Sophie, c'est la noblesse immense de la Princesse de Clèves et la noirceur tordue de l'immonde Folcoche, la merveilleuse bonté de l'évêque de Digne qui redonna à Jean Valjean confiance en l'âme humaine et la cupidité obscène des Thénardier qui martyrisèrent Cosette.

La France réunit jusqu'au génie l'esprit lumineux et la stupidité crasse.

Il faut assumer. La France, c'est tout ensemble la résistance et la collaboration.

Assez bizarrement, ceci n'est pas enseigné aux enfants de France. Ne m'a pas été enseigné en tout cas. Je l'ai découvert toute seule dans mon coin et d'abord, je n'ai pas su quoi en faire. Je me suis sentie humiliée, trahie.

Je me souviendrai toujours du voyage au bout de la nuit de ce fumier de Céline. J'avais trouvé le livre sur des rayonnages amis. Je suis entrée dedans avec ravissement. J'ai aimé Bardamu, j'ai aimé Céline. Je pensais avec émotion que j'étais en train de lire le plus grand texte jamais écrit contre la guerre et la folie des hommes.

Je n'en étais pas à la page 80 que Pauvert l'éditeur décida de rééditer l'intégralité de l'œuvre de Céline. Et là... Scandalissime scandale. Car œuvre intégrale, ça voulait dire aussi les pamphlets antisémites. Dont le journal le Monde publia généreusement de larges extraits.

Que j'ai lus.

Mamma mia.

C'était tellement ignoble que j'en ai eu la nausée. Mais vraiment. Je crois même que j'ai vomi. Le voyage était fini pour moi. J'ai refermé le livre. Je n'ai pas voulu faire un pas de plus avec Bardamu. Je me sentais souillée, trompée, meurtrie.

À Luchini, qui jouait le voyage au théâtre, on demanda cela ne vous gêne-t-il pas d'entraîner derrière vous la jeunesse d'aujourd'hui sur les traces d'un salaud auquel ils s'identifient sans leur dire qui il était ? Et Luchini répondit, l'écharpe frémissante, mais c'est le passé là, ça suffit, il faut regarder devant.

Je n'ai jamais lu la fin du voyage. Je n'ai jamais pu. C'est con.

Le fait est que si j'avais eu droit en préface à une biographie honnête de l'auteur, j'aurais lu le livre. En conscience. Et je l'aurais probablement adoré. Mais je l'aurais lu avec ce recul qui m'a accompagnée par exemple à la lecture de Daudet ou de Garcia Marquez. Sans m'impliquer. Je ne sais pas.

Je parle de Céline, mais il n'est pas le seul, loin de là. Tiens, je suis tombée dernièrement sur un recueil de Verlaine que je ne connaissais pas. C'est un truc qu'il a écrit après son emprisonnement, Rimbaud, son péché magnifique, l'avait laissé tomber comme une vieille chaussette, il allait mal, le pauvre chéri, très très mal. Et il l'explique en vers puisqu'il est poète.

"Je suis dur comme un juif et têtu comme lui,

Littéral, ne faisant le bien qu'avec ennui,

Quand je le fais, et prêt à tout le mal possible."

Tu as bien lu. Le type des "sanglots longs des violons de l'automne".

C'en est désespérant. Et puis en même temps, c'est dans l'obscurité la plus compacte que la lumière brille le mieux, non ?

Malgré tout ça, avec tout ça, je me sens, je suis si française. C'est ce que je m'efforce de partager avec mes étudiants israéliens de l'Université ouverte. Cette dualité magnifique qui a fait de la France le pays qu'elle est. Avec sa géniale constitution et ses contradictions méprisables. Ses héros et ses salauds. Ses envolées et ses trahisons. Son courage et sa lâcheté. Sa grandeur et sa bassesse.

Sa constance dans l'erreur aussi. Son humanité en un mot.

Avec ces Israéliens qui viennent partager avec moi l'amour de la France, je me désole qu'à l'heure de ressortir Zola et Hugo, on ait incompréhensiblement ressorti Voltaire dans un de ses pires écrits. Ah Voltaire. Son chapitre sur les Juifs... Sais-tu que Berk en français se dit Ikhhhsss en hébreu ?

Voltaire, Voltaire... François-Marie de son prénom... Pas à dire, du grand art. Avec Moïse et ses crimes. Combien déjà ? 23000 hommes qu'il a tué à mains nues, j'exagère à peine, parce qu'ils adoraient le veau d'or, puis encore 24000 je ne sais plus pourquoi, je refuse de retourner vérifier. C'est bien simple, c'était juste avant qu'il ne décrète la mort de tous les premiers nés. Oui oui, tu as bien lu. Pour Voltaire qui n'avait pas vu le Prince d'Égypte, c'est Moïse qui a décrété la mort des premiers nés. Ce sont des citations d'Evangile en plus. Livre d'Ezequiel paraît-il. Plus bien sûr tous ces malheureux que nous immolions gaiement puisque les sacrifices humains, c'est notre nature. Et le vaillant philosophe de s'exclamer avec une espèce d'ironie macabre : "Quel peuple !"

Ah ce n'est pas pour rien que Jésus a choisi de naître chez nous. Pour bien en chier, il fallait qu'il naisse au pire endroit possible, vois-tu ?

Nul doute que ce texte que personne à ma connaissance n'a encore remis en cause, bordel, personne ne l'a donc lu ?!, va faire avancer le débat.

On est content ou pour citer notre mère, "ça va aller, chérie, c'est pas grave..."

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Rédigé par Victoria

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Publié le 17 Janvier 2015

Lettre à ma soeur. 42.

Holon, le 13 janvier 2015

Ma chère petite soeur,

Ton coup de fil en larmes parce que tu as mis mes neveux à l'école...

Holon, le 16 janvier.

Ma chère petite soeur,

A la bonne heure. Vous n’aurez pas mis deux jours pour vous retrouver tels qu’en vous-mêmes. Rigolo de penser qu’un papa amène tous les matins des croissants aux militaires armés jusqu’aux dents qui gardent l'école et qui sont ainsi entrés dans votre vie pendant que vous, les mamans, vous vous dépêchez de vider dans leurs tasses le thermos de café fumant avant d’aller mitonner à ces grands garçons qui des brioches et qui des borécas. La vérité, c’est qu’on est des gentils. Des fadas, mais des gentils.

Cette armée française cosmopolite que tu me décris, avec ces rambos impressionnants dans leurs treillis camouflage épaissis de gilets pare-balles qui ouvrent de grands yeux de légionnaires devant Madame Bijaoui qui leur pince la joue m’attendrit tout en me donnant à penser que oui, l’Europe s’est vraiment réveillée. Pour tout dire, cela ne me procure aucune satisfaction. J’aurais préféré mille fois que ce soit moi qui me réveille, qu’on me traite encore de parano et que toute cette histoire ne soit qu’un cauchemar, mais bon.

Regarde, je vais te raconter ce qui s’est passé ici en Israël en classe de troisième dimanche, et tant pis pour la chronologie. De toute façon, je ne comprends plus rien à rien. L’Europe qui a déclaré la guerre au terrorisme, ça me paraît aussi approprié qu’un toubib qui se trouverait devant une bronchite carabinée et qui dirait avec emphase "nous allons combattre le nez qui coule". Ce toubib là, avoue, il te ferait un peu de la peine et pour lui faire plaisir, même, tu te moucherais pendant que ton virus, lui, rigolerait bien derrière tes bronches. Là, je ressens un peu la même chose. Pas simple, pas simple.

Classe de troisième donc. Ou comment les élèves sont parfois meilleurs profs que les profs. Dans cette classe franco-israélienne il y a des Juifs, des Chrétiens, un Musulman. Tu vas voir, c’est un détail qui a son importance. Je commence mon cours sur le dessin de presse, et sur le pouvoir du crayon. Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré. Je montre la liberté guidant le peuple revisitée par Plantu "regarde la meuf, elle est à poil" et je raconte Charlie Hebdo, Hara Kiri et le Général. Peut-on rire de tout hormis le Général ? Après tout pourquoi pas ? Moi j’ai le droit de rire et toi, tu as le droit de me faire un procès si tu te sens blessé dans tes convictions, on discute et la démocratie avance.

Charlie Hebdo carbure grosso-modo à un procès par semaine, d’intention à tout le moins. Les Juifs, les Noirs, les handicapés, les homosexuels, les poilus, les chauves, les blonds, les petits, les gros, les beaux, les moches, les cons, les intelligents, Jésus et le Pape, il y en a vraiment pour tout le monde. Jusqu'à cette histoire en 2006 du journal danois. Par solidarité, des journaux du monde entier reproduisent les caricatures du prophète qui ont déchaîné les passions et c'est exactement ça qu'il faut faire. S'unir, faire bloc pour noyer la menace. En France, ce n'est même pas Charlie qui reproduit le premier les caricatures. Pas encore. Mais quand Charlie s'en mêle et découvre les dessins, c'est pour dire qu'ils ne sont pas si drôles et qu'ils peuvent faire bien mieux. Et je montre la "une" rose de Cabu.

Je raconte le procès retentissant qui a suivi et comment le journal a fait des islamistes un sujet de prédilection, mais pas plus, puisque la cible favorite reste tout de même les malheureux politiques français qui, tous partis confondus, en prennent pour leur grade.

A ce moment-là, j'ai trois élèves partis aux toilettes qui tardent à revenir et je peste intérieurement contre moi-même qui les ai laissés y aller ensemble. Le premier revient. Je l'accueille vertement mais il me sourit "tout va bien madame".

- Quoi tout va bien ?

- Non, non, rien.

Arrive le second.

- Tout va bien ?

- Oui. Il va bien.

C'est du troisième semble-t-il qu'on parle. Le jeune Salim.

- Mais qu'est-ce qu'il a ?

- Il ne peut pas voir des dessins de Mahomet, madame, alors il ne veut pas revenir.

Sur mon écran géant, le Mahomet de Cabu sur fond rose pleure. Je remplace l'image par la une du New Yorker, tu sais l'immense crayon Tour Eiffel qui domine un Paris rouge et je descends chercher Salim. Il est assis dans les escaliers. J'adore ce gosse. C'est un gracieux. Gentil, serviable, respectueux, très drôle.

- Je peux savoir ce que tu fais là ?

- Ca va, madame, je suis bien ici. Je ne peux pas revenir.

- Mais bien sûr que tu vas revenir. Et tout de suite encore. Pourquoi est-ce que tu ne m'as rien dit ?

- Chez nous les Musulmans madame, on ne peut pas regarder le prophète. C'est un respect. Alors si il y en a qui le montrent quand même, on se lève et on s'éloigne. Si les terroristes avaient été de bons musulmans, c'est ça qu'ils auraient fait. Ils n'auraient pas tué. Dans le Coran, on dit si tu tues un homme, tu tues tous les hommes.

- Nos livres disent la même chose, tu sais... Écoute, je suis vraiment désolée, Salim, je ne voulais pas te blesser. Tu m'as fait mon cours là, tu t'en rends compte ? Ce sont exactement les mots qu'il faut dire. Tu me permets de tout répéter ?

- Bien sûr.

- Ok. On y va.

Je suis donc revenue en classe avec Salim. J'ai répété la conversation que nous avions eue. Et tout ça illustrait parfaitement ce pouvoir du dessin et de la plume.

- Par respect pour Salim, nous ne montrerons plus les caricatures ici aujourd'hui. Nous allons respecter sa liberté comme lui a respecté la nôtre tout à l'heure en sortant sans rien dire pour nous laisser regarder et commenter.

Un élève a alors levé la main.

- Pour les Juifs, les dessins sont aussi méchants ?

- Ils sont même pire.

- On peut voir ?

- Si tout le monde est d'accord, mais je vous préviens, c'est odieux.

Et à la demande générale, j'ai balancé sur l'écran un truc immonde sur les Juifs qui finalement n'était pas beaucoup plus immonde que les blagues immondes que nous sommes capables de raconter sur nous-mêmes. Du coup, tout le monde est tombé d'accord avec Desproges oui, on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde.

Une petite douce m'a alors demandé :

- Et les dessins sur les Chrétiens, on peut voir aussi ?

- Pas tout le même jour, ok ? Non, sérieusement, je ne crois pas parce que la plupart des dessins sur les cathos sont sexuels, donc on va éviter, mais tu dois me croire, c'est totalement glauque. Autant pour le Pape. Pas montrable, je te promets.

- Mais au final, alors Charlie, c’est bien ou non ?

- Moi, caca pipi zizi, c’est pas trop ma tasse de thé. Mais. Dessiner des zizis poilus partout et en acquérir le statut de poètes philosophes, ce n'est pas donné à tout le monde. Tenir des propos ultra racistes sans que jamais on ne doute de ton douzième degré ni de ton humanisme, c'est du pur talent. Quand tu as des gens qui peuvent parler cru comme des obsédés sans que jamais on ne remette en doute leur romantisme, on frise le génie. Wolinski, il avait dit à sa femme que quand il mourait, il voulait qu'elle jette ses cendres dans les toilettes pour qu'il voie ses fesses tous les jours et c’est la plus jolie déclaration d’amour du monde. Si, si. Les dessinateurs qui sont morts, on n’est pas près de les remplacer, c’est moi qui vous le dis. La satire en général et Charlie en particulier, je ne sais pas si c'est bien, c'est juste indispensable comme un poumon qui nous insufflerait de l'air.

Et j'ai encore une fois remercié Salim.

Tu te rends compte que ce gosse, par sa douceur et sa détermination a réussi à ouvrir les esprits de ses potes bien plus sûrement que probablement je n’aurais pu le faire avec mes grands mots ? Respect.

Prends soin de toi, chérie.

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Rédigé par Victoria

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Publié le 16 Janvier 2015

Que suis-je ?

Vendredi 9 janvier...

Epouvantable journée. A laquelle s'est ajouté un incommensurable malaise qu'il m'a semblé même indécent d'exprimer. Mais si j'avais dû l'exprimer quand même, ça aurait donné ça et le plus ballot, c'est que je n'arrive pas à m'en défaire

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Rédigé par Victoria

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Publié le 12 Janvier 2015

Lettre à ma soeur. 41.

Holon, la lettre du 8 janvier que je n'ai pas envoyée...

Ma chère petite soeur.

Tu sais, je t'ai dit ce premier jour, mercredi dernier, et cette envie de mourir et tout le reste… Il est arrivé tant de choses depuis…

J'ai besoin, si tu veux bien, de continuer à te raconter ces trois ou quatre jours dans l'ordre chronologique, je me dis que si on récapitule les choses dans l'ordre où on les a vécues, peut-être que ça nous aidera à y voir un peu plus clair. Peut-être.

Le lendemain, le 8 donc, ça n'allait pas mieux du tout. En fait, c'était même pire.

Je suis allée donner mes cours à Mikvé et je n'étais toujours pas étanche.

Au lycée franco-israélien, je suis de ceux qui ont le privilège des classes mixtes franco-israéliennes alors que les deux filières suivent des cursus parallèles. C'est très beau dans le texte, les élèves des classes françaises et ceux des classes israéliennes ensemble suivant le même cours. Une merveille. Sauf que. Tes cours, tu les fais en quelle langue ? Alors, la facilité, qui comme souvent, rejoint l'évidence, voudrait que ces cours-là soient dispensés en anglais. Magnifique. Mais alors où est l'intérêt de cette rencontre franco-israélienne ? Si tu veux des cours en anglais, autant aller à l'école américaine et basta. Non. Pour que ces cours-là aient du sens, il faut les dispenser dans les deux langues, le français et l'hébreu qui traduisent les deux cultures, et c'est la rencontre de ces deux modes de pensée qui est passionnante. Fort bien, fort bien. Mais avec un public âgé de 12 à 16 ans et en plein délire hormonal, on fait quoi ?

Bref.

Les fondateurs du truc ont bien compris le côté casse-gueule de la chose. Inenvisageable d'y renoncer, n'est-ce pas, alors, ils ont cantonné cette ahurissante expérience aux cours les plus adaptés à ce type de situation improbable, les cours "universels", que je les soupçonne d'avoir pensés les cours "muets". J'ai nommé le sport et les arts. En sport, tu cours, le halètement et la sueur, pas à dire, c'est bien universel. La musique, même pas on en parle. Et les arts plastiques sont bien censés être au delà des mots. Léonard de Vinci aurait rencontré Picasso que l'un aurait tendu sa Vierge aux Rochers, l'autre ses Demoiselles d'Avignon et les deux seraient tombés dans les bras l'un de l'autre, c'est couru.

Dans les classes, de fait, c'est moins limpide, il faut bien le dire. Mais c'est possible. J'ai vu des jolies choses arriver. J'en ai vu.

Cet après-midi, pour une raison qui m'échappe, seuls les Israéliens étaient en cours en première heure. Et j'ai apprécié. Comment ces enfants de classe de cinquième qui ne sont pas français perçoivent-ils les choses ? Et surtout, dans mon esprit pervers, comment diable les profs du matin leur ont-ils raconté ça ?

Alors, j'ai commencé en disant

- Vous avez entendu ce qui s'est passé en France hier ?

D'une seule voix. Oui.

- On nous a raconté.

- En cours d’anglais. En histoire aussi.

- Très bien, très bien. Et qui peut me raconter à moi ?

- Quoi, tu sais pas ?

- Si, mais je veux savoir ce qu'on vous a dit.

- Des terroristes ont tué 12 personnes hier à Paris.

- C'est un attentat.

- Et ils ont tué des policiers aussi.

- On ne les a pas encore attrapés.

- Et ?

- Et tout le monde dit "Jé souis qui déjà... ?

- Tcharlie.

- Mmmm. C'est vrai. Et ?

- C'est quoi, Tcharlie ?

- C'est un journal.

- Ah oui, tout ça, c'est parce qu'ils ont dessiné un dessin dans le journal.

- Ils ont dessiné Mahomet. (Qui en hébreu se dit Mouhamad hanavi)

Je note dans un brouillard déjà que cette façon de dire Mouhamad Hanavi, le prophète Mahomet est plus respectueuse de base en hébreu que le Mahomet simple en français.

- Bon et alors ?

- Et alors quoi ?

- C'est un attentat ?

- Oui.

- Il y a des attentats tous les jours dans le monde, pourquoi parler de celui-là plus que de l'attentat australien, par exemple ?

- Quoi ? Il y a eu un attentat en Australie ?

- Mais oui…

- On en parle parce que c'est à Paris. Et on est ici dans une école franco-israélienne…

Brouhaha.

- Tu dis n'importe quoi, c'est pas juste ici. Le monde entier en parle.

- Mais pourquoi ?

Et cette fois-là, le pourquoi vient des élèves.

- Vous voulez vraiment savoir pourquoi ?

- Ah oui, c'est à cause de la liberté de la Presse.

- C'est vrai. C'est pour autre chose aussi.

Et là, il y en a un qui repère mes yeux plein de larmes.

- Tu pleures ?

Silence de mort dans la classe.

- Tout ce que vous avez dit est vrai. Mais si moi, prof d'Arts Plastiques, je veux vous en parler aussi, c'est que parmi les gens qui sont morts hier, il y avait des artistes. Deux d'entre eux étaient des légendes vivantes, des gens que j'admirais beaucoup. Ils étaient les dessinateurs les plus intelligents, les plus drôles, les plus extraordinaires. C’étaient des papis en plus. Je les connais depuis que je suis toute petite. Ils ont tué des artistes de génie.

Stupéfaction. On a branché l'ordinateur, et je leur ai balancé ce qui était balançable, parce que tout Charlie n'est pas balançable, loin de là. Et je leur ai expliqué aussi pourquoi tout n'était pas balançable. Les zizis et tout. Merde, comment on dit zizi poliment en hébreu. Hazé paraît-il. Mais hazé, c'était pas poitrine ? A vérifier. Les images ont produit leur effet. J'ai montré Cabu et Wolinski. Les derniers dessins de Charb et d'Honoré. De Tignous. De Gelluck. Quoi, je n'allais pas montrer que les morts. De Zep, j'ai montré Dieu sur son nuage qui voit arriver la fine équipe et qui panique : Oh non, pas eux ! J'ai aimé voir ces enfants rire.

- Vous vous entendez rire ? C'est cette musique-là qu'on veut interdire. C'est cette musique-là qu'on a voulu tuer.

Bref, l'attention était à son comble, surtout après les zizis (que je n'ai pas montré, je les réserve pour les troisième) et j'ai posé ma question : Peut-on rire de tout ?

Réponse générale oui.

- Sans limites ?

Alors les doigts se sont levés et ont commencé les “mais”.

- Attention, s'il y a un mais, la réponse devient non.

- Alors non. Non. Non.

- Mais et la musique ?

- Pas si ça fait de la peine à quelqu'un.

- Et si ça nous aide à réfléchir ? A être moins bêtes ? A être plus grands ?

- …

- La réponse sur papier les enfants.

Parce que non, la liberté n'est pas une évidence. Elle doit être un choix réfléchi et elle est définitivement un choix difficile.

En rentrant à la maison ce soir, j'ai rebranché les informations. Le nom du fêlé de Montrouge passe en boucle comme une litanie douce, mais décliné sur un ton de pub GI Joe. Je me suis demandé comment un malade pareil pouvait répondre à un nom aussi musical et aussi doux ? Il a tué une jeune policière paraît-il. Mère de famille.

Pas du tout mère de famille.

Une petite jeune. Encore étudiante.

C'est quoi ces cafouillages ? Pourquoi je n'arrive pas à en savoir plus sur elle ? Je cherche.

Je lis sur un site juif qu'elle était affectée à la surveillance d'une école juive.

Je suis saisie d'un respect immense pour tous ces journalistes admirables qui arrivent dans une situation si tragique à ne pas faire d'amalgame.

Parce que si c'est vrai, ça change la donne…

Je n'ai pas osé te raconter ça tout à l'heure au téléphone quand tu m'as dit que le chargé de sécurité de votre école avait choisi de ne pas demander de renfort de sécurité (parce qu'il faut les demander, maintenant ?) parce que je cite : "Les flics quand ils viennent, ils passent leur temps à mettre des PV aux parents mal garés." Mon Dieu, Desproges avait bien raison quand il a dit que Dieu était peut être éternel, mais moins que la connerie humaine.

Je constate que mon pote Hervé de Tel Avivre qui publie mes lettres a choisi de donner un titre à la dernière, en reprenant la phrase : Allons-nous être de toutes les obscènes vinaigrettes ? Je ne veux pas que la réponse soit oui. Je ne veux pas que la réponse soit oui. Je ne veux pas que la réponse soit oui. Et le prochain qui dit le mot amalgame devant moi, je lui mets mon poing dans la gueule.

Prends soin de mes neveux, chérie, et prends soin de toi.

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Rédigé par Victoria

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Publié le 11 Janvier 2015

Gueule de bois

Le lendemain, ça n'allait pas mieux, en fait, c'était même pire...

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Rédigé par Victoria

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Publié le 11 Janvier 2015

Qui, mais qui a éteint la lumière ?

Le premier jour, je n'avais pas de mots. J'avais juste envie de mourir. Et en signe de deuil, j'ai posé mes crayons (Ils restent de plus en plus souvent en rade sur la table par les temps qui courent). Mais le dessin que j'avais dans la tête est celui-là...

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Rédigé par Victoria

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Publié le 8 Janvier 2015

Lettre à ma soeur. 40 èmes rugissants...

Holon, le 7 janvier 2015

Ma chère petite soeur,

Ma chère chère chère petite soeur…

La sensation est bizarre. Le ciel a donc fini par nous tomber sur la tête… J’ai ouvert facebook sur mon téléphone entre deux cours cet après-midi. J’ai lu attentat et je me suis mise à trembler. J’ai lu Wolinski et Cabu et je me suis effondrée. Le chauffeur de l’autobus 138 s’est inquiété pour moi. Il m’a demandé s’il pouvait m’aider et je lui ai répondu non en reniflant. Il m’a alors passé l’incontournable rouleau de PQ que tout un chacun tend ici quand les mots sont inutiles avec un bon sourire en insistant, si je peux faire quelque chose…

- Laisse-le conduire tranquille, a couiné une vieille au fond du bus et j’ai eu des envies de meurtre. Occupe-toi de tes oignons, toi. (Je ne sais pas dire connasse en hébreu)

J’ai mieux lu. Charb aussi. Le courageux rédac chef. Tignous. J’ai définitivement cessé d’être étanche.

J’ai tant bien que mal assuré mon cours du soir. Heureusement, avec la tempête, que les Libanais ont appelée Zina, très peu d’élèves ont eu le courage de mettre le nez dehors et j’ai quasiment donné un cours particulier à la douce Svetlana qui m'a consolée parce que les Russes, la liberté assassinée, ils connaissent bien. Nous avons écouté la Marseillaise Reggae de Gainsbourg.

Ce soir en rentrant, j’ai regardé les informations de France 2, je n’aurais pas dû, je sais, mais le vent a fait sauter les chaînes israéliennes.

Pujadas recevait Plantu, avec sa tête de premier de la classe. Celui-là, je n’ai jamais pu lui pardonner d’essayer de se donner la dégaine d’affreux jojo de Cabu en imitant son inénarrable coiffure alors qu’il n’a pas le demi-quart de son esprit. Pujadas a commencé en disant “Vous êtes le plus grand dessinateur français…” Ce qui est d’une ignorance et d’un mauvais goût ahurissant dans le contexte. J’ai recommencé à pleurer : “Putain, le con ne sait pas que Cabu est mort ce soir ?”

Plantu a été très bien. Il l’a repris de volée. “Vous dites que je suis le plus grand… Je suis surtout un qui est vivant. Car ceux qui sont morts ce soir sont des noms immenses…”

Puis les deux nous ont servi les poncifs sur la démocratie en danger, Plantu, encore une fois, a été très bien, il a dit que cet attentat, c’était “le 11 septembre de la pensée” et là, qu’est-ce qu’il lui a pris, qu’on m’explique, il a saisi sur la table un des dessins qu’il avait préparés, un dessin titré “Israël-Palestine”.

Pourquoi ? Mais pourquoi ?

Quel rapport ?

Allons-nous donc toujours être de toutes les obscènes vinaigrettes ?

Est-il possible que cet irresponsable ne réalise pas qu’en nous liant de près ou de loin, et là, c’est de très près, à cette immonde tuerie, il met les Juifs de France et d’Europe en danger de mort, puisque c’est dit maintenant, les fous sont lâchés ?

Mais jusqu’à quand ?

Et ce couillon de la lune a montré sur son dessin le croissant et les deux étoiles, celle de l’islam et celle d’Israël, et des deux étoiles partait une balançoire où avait pris place un improbable couple oecuménique avec en légende un proverbe arabe disant plus où moins que la balançoire qui va le plus haut est celle qui s’accroche aux étoiles. Quid ? Quomodo vales ?

Cela m’a mise si en colère que j’en ai arrêté de pleurer, dis.

J’ai pensé à Oriana Fallacci, cette belle journaliste italienne qui, lorsque son journal lui a demandé un article au lendemain du 11 septembre, était si en colère qu’elle a écrit un livre. Un livre où elle étale sa rage de femme blessée et réaffirme son orgueil de femme libre. Un livre que la première émotion passée, on a gentiment remisé aux oubliettes et qui est aujourd’hui catalogué au rayon des brûlots islamophobes d’extrême droite qu’il n’est pas.

J'ai changé de chaîne. Je suis passée sur Canal. Qui diffusait un documentaire sur les caricaturistes. Plantu encore, on va en souper je crois, qui se moquait de Sarkozy qu'il s'entête à dessiner avec des mouches sur la tête, "quoi, j'ai le droit", rires. Puis une dessinatrice tunisienne. Très classe. Je me suis servie un bol de soupe pendant les Africains qui avaient l'air très sympas. Puis j'ai entendu Kichka, notre petit mignon, raconter avec l'oeil qui frise comment il avait mis Mahmoud Abbas au lit avec Bibi et lui demandant au lendemain de la reconnaissance de l'Etat palestinien par la Suède "Alors heureuse ?". Enfin un dessinateur palestinien a expliqué que sa famille était de Jérusalem depuis très longtemps et que l'occupation israélienne l'en avait chassée. "Papa, c'est quoi, l'occupation ?" "C'est quand tu ne peux plus rentrer chez toi." Et le type d'expliquer que chaque fois qu'il allait voir sa famille à Jérusalem, il devait passer le tourniquet du check point et que ce tourniquet, c'était la pire chose au monde, qu'à chaque fois, ça lui donnait l'impression d'être un mouton allant à l'abattoir. Celui-là, personne n'a visiblement jugé bon de lui raconter que certaines occupations présentaient des inconvénients bien plus contraignants que les tourniquets...

Qu’est-ce qu’on va devenir ?

Prends soi de toi, chérie.

Ps. Les 40èmes rugissants, c'est sorti tout seul et ce n'est pas plus mal. Tu sais, c'est cette zone déchaînée que les marins redoutent tant entre les 40 et 50èmes parallèles de l'hémisphère sud. Le seul truc qui m'embête un peu, c'est qu'après les quarantièmes rugissants, viennent les cinquantièmes hurlants... J'arrête. Je vais dormir.






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Rédigé par Victoria

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Publié le 7 Janvier 2015

Le Parthénon
Le Parthénon

Quelque part au dessus de la Méditerranée, le 29 décembre.

Ma chère petite soeur,

Bon. Nous voilà en vol.

Direction Athènes. La Grèce. Les Grecs et leur fameux profil. Troie et son cheval. Achille et Patrocle. Ulysse et Pénélope. Ithaque. Que le correcteur affiche orgiaque. Si si.

Tu le savais, toi, que le symbole d'Athènes était la chouette ? La chouette qui est la compagne d'Athéna, déesse de la guerre, des arts et de la sagesse ? Elle est partout, sur les murs, sur les tasses, sur les vases, sur les assiettes, en sautoir et en broche, et même sur les tee-shirts des échoppes de touristes, cette chouette athénienne qui ressemble comme une sœur au chat du centre aquatique de Holon et qui ouvre tout grand sur le monde des yeux ronds et perdus. Ah il a bonne mine, le berceau de la démocratie consacré au culte de la déesse derrière ce symbole kitschissime. On fait quoi avec ça ?

Du coup on a joué les touristes. Athènes, ville de tous les symboles ne nous a pas déçus. Sur l'Acropole, le Parthénon est en travaux. Des grues ridicules soutiennent comme elles peuvent les majestueuses colonnes doriques en déroute. Les prétentieux rajouts de marbre blanc semblent autant de coups de tipex sur la pierre dorée. D'improbables chiens obèses, probablement les derniers philosophes, sont évanouis de ci de là dans l'herbe craquante et gelée. Des pies jacassent dans les oliviers.

Le berceau de la démocratie est en crise économique et monétaire majeure.

Les Grecs envisagent sérieusement de sortir de l'Europe, même s'ils ont compris que sortir de l'euro ne les sortira pas de la mouise. Leurs dirigeants corrompus les ont pour longtemps dégoûtés de la politique et toute la philosophie du monde, cette philosophie qu'ils ont pourtant inventée de toutes pièces, du mot au concept, ne les aide pas plus que l'ouzo dans lequel ils s'entêtent à noyer leur désespérance ne les console.

En attendant, ils sont beaux, les Grecs, avec leur peau mate, leurs traits taillés à la serpe et leurs barbes d’assyriens. Ils parlent une langue chantante entre l’italien et le russe, qui, mise en musique, ressemble à de l’hébreu. Notre premier chauffeur de taxi à qui j’ai dit pour faire la belle “Gnothi séauton” d’un air inspiré m’a regardée comme si je parlais chinois. Je devais probablement avoir l’air aussi tarte que si à Rome, j’avais avisé un Italien en lui susurrant d’un air intelligent “éraré houmanoum este”.

Tout au long de la route qui longe la mer vers le Port du Pirée, des mandariniers croulent sous les fruits. Avec mon anglais en bois, notre distingué taxi du jour a mal compris ma question lorsque je lui ai demandé ce que c'était que tous ces énormes chiens si bizarrement vautrés dans les rues, tous de la même race, de la même taille et de la même langueur. Il m'a répondu que les drugs, c'est à cause de la crise.

- Les chiens sont drogués ?

- Oh, you mean dogs, les chiens ? Ils sont abandonnés, eux aussi.

Le malentendu nous a fait rire et l'a poussé à la confidence. Il nous a raconté comment il avait travaillé 23 ans chez Fiat dans la vente de voitures, avant que la boîte ne ferme "avec tout ça" et qu'il ne se retrouve aujourd'hui chauffeur de taxi à 17 heures par jour. Il aime bien ça, faire le taxi, parce qu'il adore sa ville, le seul truc qui l'embête, c'est qu'il ne voit plus ses enfants, ils dorment quand il part le matin et ils dorment quand il rentre le soir.

Tous les Grecs que nous avons rencontrés ont été à l'image de ce chauffeur de taxi, étonnants de bonne humeur et de courage. La situation est ce qu'elle est et ils la gèrent sans état d'âme.

- Vous ne vous plaignez jamais ?

- Ca servirait à quoi ? Et puis nous sommes fiers.

Fiers et drôles aussi. Le tee-shirt de la semaine restera celui que nous n’avons pas acheté, que les enfants ont lu avec consternation pendant que je hululais.

To do is to be, Socrate

To be is to do, Platon

Et Do be do be do, Sinatra…

C’est drôle pourtant, non ?

Le fait est que les Grecs nous ont semblé un peuple très uni. Très très européen finalement. C'est une impression bizarre et chaleureuse. On a le sentiment que tout le monde se serre les coudes et que rien de grave ne peut arriver.

- De toutes les façons maintenant, on a des élections dans un mois, la gauche va sûrement passer...

- Tu dis quoi, toi ? Ca peut arranger les choses ?

- Non.

- Alors ?

- Reprends un verre de Ouzo.

Je regarde les adolescents qui se chamaillent dans le métro et je n'ai aucun mal à les imaginer en toge et sandales, casqués d'acier et de plumes, prêts à en découdre pour l'honneur et la gloire.

A la station de métro Acropolis, Mélina Mercouri élève un bouquet de roses devant le Parthénon tandis que sous la bise glacée de décembre, le temple de Zeus étire ses somptueuses moulures vers le ciel blanc.

Bilan. J'ai eu l'impression d'être un peu chez moi en Grèce. J’ai aimé les Grecs. J'ai mangé de la tarama et des feuilles de vigne. Tu le crois, toi, que je n'avais jamais réalisé combien notre cuisine ladino était grecque ? Et mieux encore, Kalo, le deuxième prénom de notre douce Mireille, c'est du grec aussi, ça veut dire bon. Trop bon.

Je pensais à tout ça nonchalamment installée au bar de l'hôtel. Devant moi, les mains impeccablement french manucurées, une charmante sirotait une coupette de champagne en sifflant ses "s" devant la cheminée, les jambes savamment croisées sur des cuissardes de cuir. Quelle chose étrange que la sophistication. Qu'est-ce qui dans la vie peut conduire à cette élégance ? A quel moment y accède-t-on, par Zeus, où se situe l'exacte transition entre l'enfance et la moderne préciosité ?

Fort heureusement à Athènes, on n’invoque pas Zeus en vain. Dès le lendemain matin, les Israéliens de l’hôtel m’ont ramenée à ma réalité orientale. Avec en vedette, une habitante de Holon plus vraie que nature, la soixantaine mince et sportive moulée dans un étonnant jogging Adidas noir avec plein de bandes et de logos et des rajouts capillaires laissant cascader à la Chris Waddle d'improbables mèches blondes jusqu'a sa taille.

Plus. Des savates de peluche panthère. (Je jure que c'est vrai)

Plus. Des socquettes blanches. (Mais ça, c'est parce que ça caille méchamment dehors)

Plus. Le Samsung customisé au bout de doigts impeccablement french manucurés (moderne préciosité), avec l'index et la majeur resserrés sur une très glamour cigarette.

Et... Et... Et... ?

Le petit paquet de café soluble Elite de poche, le seul, le vrai, que les Israéliens qui ne peuvent pas boire autre chose emportent avec eux jusqu'au bout du monde.


Voilà. J'ai mis une semaine à t'écrire cette lettre et demain nous rentrons à Tel Aviv.

Prends soin de toi, chérie.

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Rédigé par Victoria

Publié dans #Lettre à ma soeur

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