Lettre à ma soeur. 20

Publié le 4 Septembre 2014

Holon, le 4 septembre

Ma chère petite soeur

Il y a ici un invraisemblable condensé d’histoires extraordinaires.

Et le plus invraisemblable, c’est que les gens ne sont pas avares de leurs histoires et qu’ils te les balancent comme ça, au détour d’un banc, d’un arbre, d’une rue (tu as entendu la musique ?), plus souvent encore d’une limonana en terrasse, d’une rencontre fortuite, sans crier gare, alors que tu n’es pas du tout préparée et que tu ne t’y attends pas, ils se penchent vers toi. Ils ne t’ont jamais vue, ils ne te reverront jamais et ils partagent avec toi un petit moment d’éternité. Tu ne sais pas toujours quoi en faire, c’est souvent si émouvant… Alors tu hoches la tête, tu bois nerveusement une petite gorgée de mousse de café, tu souris, ils se lèvent et s’en vont et toi, tu te retrouves transportée en Pologne, en Russie, en Ouzbékistan ou même à Sanaa au Yémen, à des époques révolues, mon dieu, sont-elles seulement révolues ?

Attention, ça n’empêche pas du tout les escrocs d’être des escrocs de haut-vol et les imbéciles d’être des crétins intersidéraux, non, je ne sais pas. C’est tout ensemble. Ca me fait penser à une histoire facebook que j’ai lue cette semaine, une famille de deux parents avec leurs cinq ou six enfants qui ont fait leur alyah cet été et qui se sont retrouvés en galère parce que leur appartement n’était pas prêt. Et un internaute empli de compassion a lancé un appel au secours pour eux, mais compassion mizrahie, tu vois, pathétique de chez pathétique, et les gens se sont mobilisés en panique orientale et au final, après quoi, quinze messages surexcités, la petite famille en détresse a été relogée ou on leur a prêté un appartement, je ne sais plus, parce que “le am israël est uni comme les cinq doigts de la main”. Suivi de l’indécrottable “Merci pour eux”.

Parfois, je n’arrive pas à décider si je nous aime ou si je nous déteste…

Au Ministère de l’Intérieur ce matin, par contre, sans hésitation possible, je nous ai aimés.

Parce que bon, ton neveu a finalement eue sa carte d’identité, d’une manière bizarre et un rien frustrante, certes, mais il l'a eue. Pourquoi frustrante ? Parce qu'un petit mignon de la famille à qui nous servions notre sketche, tu sais, celui de la balle de ping pong entre Holon et Natanya, a dit d’un ton docte, “Frérot, je ne peux pas te laisser comme ça” et il est venu ttt, ttt, à Holon. Il a attendu très sagement avec mon fils jusqu’à ce que la fréha manucurée habituelle les repère au bout d’une heure et demie et tance mon fils. “Tu es revenu pourquoi, on t’a dit que c’était pas chez nous”. Et là, le petit mignon cousin s’est transformé en hyène et il a hurlé sur la fréha que des gens comme elles, c’était à vous couper l’envie d’être honnête, et d’autres choses que moi, je n’ose même pas penser et il a crié si fort et si bien, que des bureaux qu’on n’avait jamais vus se sont ouverts, “Qu’est-ce qui se passe ici ?” “Fils, pourquoi, tu t’énerves ?”. Et en deux coups de cuiller à pot, mon fils heureux comme un pape (tu crois qu’il va falloir dire comme un calife, maintenant ?), mon fils donc est ressorti avec sa carte d’identité, celle-là même qu’on l’avait assuré impossible d’obtenir, toute neuve et toute bleue.

“Tu vois, frère, il ne faut pas s’énerver”, a dit le mignon cousin en hochant la tête. “Mais tu dois apprendre à travailler ton cri.”

Ce matin, donc, en allant pour renouveler les passeports, je me suis préparée psychologiquement. Une petite chamomille, un carré de chocolat, la gousse d’ail était au dessus de mes forces mais j’y ai sérieusement pensé, et en avant.

Et là. Grand mystère. Le vigile de l’entrée se souvenait carrément de mon prénom, la fille de l’accueil m’a demandé des nouvelles de Lucas et m’a fait un clin d’oeil, tiens, va directement là-bas, pas la peine d’attendre. Mais je n’ai aucun papier à remplir ? Pas la peine, on te connaît, regarde, la machine imprime toute seule. Un enchantement. Comment ? Tu veux renouveler aussi le passeport de ta fille ? Mais il faut qu’elle soit là pour signer. Regarde, on garde tout ici, appelle le lycée, dis que tu passes la prendre, tu en as pour un quart d’heure, elle vient directement signer, je prépare tout pendant que tu vas la chercher. Une demie-heure montre en main, l’aller-retour pour aller chercher Julie inclus. Et bien entendu, reclin d’oeil du vigile à chacun de mes passages, le dernier plus appuyé d’ailleurs, puisque j’étais avec ma blondinette d’amour et que ce clin d’oeil-là, c’est elle qui y a eu droit, accompagné d’un “Au revoir Chochanna” que je n’ai pas compris.

“Qu’est-ce qu’il a dit ?”

“Au revoir Chochanna, maman, c’est dans Inglorius Bastards.”

“Il y a une Chochanna dans Inglorius Bastards ?”

“Mélanie Laurent, maman”.

Un enchantement, je te dis.

Prends soin de toi, chérie.

Rédigé par Victoria

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