Lettre à ma soeur. 40 èmes rugissants...

Publié le 8 Janvier 2015

Lettre à ma soeur. 40 èmes rugissants...

Holon, le 7 janvier 2015

Ma chère petite soeur,

Ma chère chère chère petite soeur…

La sensation est bizarre. Le ciel a donc fini par nous tomber sur la tête… J’ai ouvert facebook sur mon téléphone entre deux cours cet après-midi. J’ai lu attentat et je me suis mise à trembler. J’ai lu Wolinski et Cabu et je me suis effondrée. Le chauffeur de l’autobus 138 s’est inquiété pour moi. Il m’a demandé s’il pouvait m’aider et je lui ai répondu non en reniflant. Il m’a alors passé l’incontournable rouleau de PQ que tout un chacun tend ici quand les mots sont inutiles avec un bon sourire en insistant, si je peux faire quelque chose…

- Laisse-le conduire tranquille, a couiné une vieille au fond du bus et j’ai eu des envies de meurtre. Occupe-toi de tes oignons, toi. (Je ne sais pas dire connasse en hébreu)

J’ai mieux lu. Charb aussi. Le courageux rédac chef. Tignous. J’ai définitivement cessé d’être étanche.

J’ai tant bien que mal assuré mon cours du soir. Heureusement, avec la tempête, que les Libanais ont appelée Zina, très peu d’élèves ont eu le courage de mettre le nez dehors et j’ai quasiment donné un cours particulier à la douce Svetlana qui m'a consolée parce que les Russes, la liberté assassinée, ils connaissent bien. Nous avons écouté la Marseillaise Reggae de Gainsbourg.

Ce soir en rentrant, j’ai regardé les informations de France 2, je n’aurais pas dû, je sais, mais le vent a fait sauter les chaînes israéliennes.

Pujadas recevait Plantu, avec sa tête de premier de la classe. Celui-là, je n’ai jamais pu lui pardonner d’essayer de se donner la dégaine d’affreux jojo de Cabu en imitant son inénarrable coiffure alors qu’il n’a pas le demi-quart de son esprit. Pujadas a commencé en disant “Vous êtes le plus grand dessinateur français…” Ce qui est d’une ignorance et d’un mauvais goût ahurissant dans le contexte. J’ai recommencé à pleurer : “Putain, le con ne sait pas que Cabu est mort ce soir ?”

Plantu a été très bien. Il l’a repris de volée. “Vous dites que je suis le plus grand… Je suis surtout un qui est vivant. Car ceux qui sont morts ce soir sont des noms immenses…”

Puis les deux nous ont servi les poncifs sur la démocratie en danger, Plantu, encore une fois, a été très bien, il a dit que cet attentat, c’était “le 11 septembre de la pensée” et là, qu’est-ce qu’il lui a pris, qu’on m’explique, il a saisi sur la table un des dessins qu’il avait préparés, un dessin titré “Israël-Palestine”.

Pourquoi ? Mais pourquoi ?

Quel rapport ?

Allons-nous donc toujours être de toutes les obscènes vinaigrettes ?

Est-il possible que cet irresponsable ne réalise pas qu’en nous liant de près ou de loin, et là, c’est de très près, à cette immonde tuerie, il met les Juifs de France et d’Europe en danger de mort, puisque c’est dit maintenant, les fous sont lâchés ?

Mais jusqu’à quand ?

Et ce couillon de la lune a montré sur son dessin le croissant et les deux étoiles, celle de l’islam et celle d’Israël, et des deux étoiles partait une balançoire où avait pris place un improbable couple oecuménique avec en légende un proverbe arabe disant plus où moins que la balançoire qui va le plus haut est celle qui s’accroche aux étoiles. Quid ? Quomodo vales ?

Cela m’a mise si en colère que j’en ai arrêté de pleurer, dis.

J’ai pensé à Oriana Fallacci, cette belle journaliste italienne qui, lorsque son journal lui a demandé un article au lendemain du 11 septembre, était si en colère qu’elle a écrit un livre. Un livre où elle étale sa rage de femme blessée et réaffirme son orgueil de femme libre. Un livre que la première émotion passée, on a gentiment remisé aux oubliettes et qui est aujourd’hui catalogué au rayon des brûlots islamophobes d’extrême droite qu’il n’est pas.

J'ai changé de chaîne. Je suis passée sur Canal. Qui diffusait un documentaire sur les caricaturistes. Plantu encore, on va en souper je crois, qui se moquait de Sarkozy qu'il s'entête à dessiner avec des mouches sur la tête, "quoi, j'ai le droit", rires. Puis une dessinatrice tunisienne. Très classe. Je me suis servie un bol de soupe pendant les Africains qui avaient l'air très sympas. Puis j'ai entendu Kichka, notre petit mignon, raconter avec l'oeil qui frise comment il avait mis Mahmoud Abbas au lit avec Bibi et lui demandant au lendemain de la reconnaissance de l'Etat palestinien par la Suède "Alors heureuse ?". Enfin un dessinateur palestinien a expliqué que sa famille était de Jérusalem depuis très longtemps et que l'occupation israélienne l'en avait chassée. "Papa, c'est quoi, l'occupation ?" "C'est quand tu ne peux plus rentrer chez toi." Et le type d'expliquer que chaque fois qu'il allait voir sa famille à Jérusalem, il devait passer le tourniquet du check point et que ce tourniquet, c'était la pire chose au monde, qu'à chaque fois, ça lui donnait l'impression d'être un mouton allant à l'abattoir. Celui-là, personne n'a visiblement jugé bon de lui raconter que certaines occupations présentaient des inconvénients bien plus contraignants que les tourniquets...

Qu’est-ce qu’on va devenir ?

Prends soi de toi, chérie.

Ps. Les 40èmes rugissants, c'est sorti tout seul et ce n'est pas plus mal. Tu sais, c'est cette zone déchaînée que les marins redoutent tant entre les 40 et 50èmes parallèles de l'hémisphère sud. Le seul truc qui m'embête un peu, c'est qu'après les quarantièmes rugissants, viennent les cinquantièmes hurlants... J'arrête. Je vais dormir.






Rédigé par Victoria

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