VI - Première audience

Publié le 10 Septembre 2012

     Après que les jurés eurent prêté serment, les témoins, près de cent, cités pour la plupart par les parties civiles, furent appelés. Les uns venaient déposer sur les faits retenus contre Barbie, les autres, dits "d'intérêt général", venaient apporter leur témoignage sur la période.

    

     Calmes et dignes avaient pris place les parties civiles constituées en cours de procédure auxquelles étaient venues s'en ajouter d'autres, qui s'étaient constituées en ce premier jour de procès, avec leurs avocats respectifs.  

     Là, suit l'énumération des noms, sur deux pages, tous les noms de toutes les parties civiles et de leurs avocats, Maîtres Alalof, Zimmermann, Grinspan, Zelmati, Ansellem, Collard, Assouline-Abecassis, Jakubowicz, de Beaurepaire, Bermann, Denard, Cohendy, Ducreux, Dumas, Feder, Charriere-Bournazel, Baverez, Gourion, Iannucci, Imerglick, Klarsfeld, Libman, Korman, Levy, Lombard, Castelli, Amar et La Phuong, Nogueres, Nordmann, Du Granrut, Rappaport, Rigal, Skornicki, Souchal et Vuillard, Tebib et Paul, Welzer et Zaoui, mais aussi Maîtres Santet, Lefort, Grenier, Castelli, Ravaz.

 

     Bien qu'il comprit tout à fait bien le français, Barbie (prononcez barbier, s'il vous plaît), avait choisi de s'exprimer en allemand, une traductrice avait été déléguée pour l'occasion. Lorsqu'on lui demanda de décliner son identité, Barbie répondit s'appeler "Altmann Klaus", l'intitulé de sa couverture bolivienne. Blanchi de cheveux, Barbie ne pouvait espérer l'être par la justice des hommes. Se pouvait-il qu'il ait pensé convaincre quiconque qu'il n'était pas ou plus le même homme ? Se convaincre lui-même, peut-être. Quelles sombres pensées avaient habité cet esprit durant ces quarante dernières années ? Quels cauchemars avaient peuplé ses nuits ? Comment cet homme avait-il trouvé le moyen de continuer à vivre ?

     Il avait en tout cas trouvé le moyen de se trouver des défenseurs enthousiastes, notamment Maître Jacques Vergès, lequel avait choisi de colonialiser sa défense en s'adjoignant deux confrères africains, un algérien, Maître Nabil Bouaïta et un congolais, Maître Jean-Martin Mbemba qui fut par la suite membre du gouvernement de Denis Sassou Nguesso au retour au pouvoir de celui-ci en République du Congo, Maître Mbemba est ainsi devenu en 2005 Ministre d'Etat, ministre de la fonction publique chargé de la réforme de l'Etat congolais.

 

     Les défenseurs de Klaus Barbie... Des défenseurs ?

     Bien sûr que non. Là résida l'hypocrisie du procédé. En position de pseudo-défenseurs d'un officiel nazi, siégèrent trois accusateurs féroces de la France des colonies. A la même tribune, l'Indochine, l'Afrique et l'Algérie.

     La France face à la souffrance de ses colonies, en un temps où la proclamation de "l'aspect positif" de son action outremer n'avait pas encore osé traverser l'esprit tordu de ses intellectuels ? Oui. Le procès du colonialisme ? Fort bien. Mais était-ce vraiment le lieu ? Etait-ce vraiment le moment ? Est-il possible que l'indécence du style n'ait pas une seconde effleuré les trois hommes ? Que le mauvais goût achevé de la démarche, vues les circonstances, ne les ait pas rebutés ? Ne peut-on grandir ailleurs que sur un tombeau ? Ne peut-on se choisir d'autre piédestal qu'une stèle funéraire ?

     Entreprise de mauvais goût, soit. Mais dénier l'intégrité du pays hôte et blessé eût pu être un système de défense intéressant. Dès lors que l'argumentation restait précise et pointue, dès lors que cette argumentation mettait en exergue cette tendance des états à se révéler étonnamment complaisants face aux barbaries pour peu que ces barbaries les servissent et fussent susceptibles de rehausser leur prestige. Dès lors que l'accusé Barbie était replacé au sein de cet hallucinant double fonctionnariat, allemand, on le saura, mais aussi français. Dès lors que ce schéma levait un peu le voile sur l'opacité de cette période. Dès lors que telle eût bien été la motivation des avocats de Barbie.

     Mais non. Je réalisai bientôt avec effroi que ces trois défenseurs-là n'avaient que faire du nazisme et de ses victimes. Qui avaient saisi l'opportunité d'une tribune de justice pour faire valoir leur propre mémoire de souffrance. Maladroit et pathétique, pensai-je avec découragement.

 

     Jusqu'à ce que Maître Bouaïta nous explique que selon lui, les Israéliens étaient les nazis d'aujourd'hui... Pas si maladroit, donc. Pas si pathétique. Le venin était toujours actif.


 

 

Rédigé par Victoria

Publié dans #Procès Barbie.

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