Mes excuses à Ben Laden

Publié le 30 Octobre 2010

Monsieur Oussama, je vous présente mes excuses pour m’être un peu moquée, ces derniers temps, c’est que je n’avais pas la télé et je ne pouvais pas savoir.
Je voudrais vous dire. Vous n’avez pas du tout besoin de vous déranger à venir nous couper la tête. TF1 se charge apparemment de nous la vider mieux que vous ne pourrez jamais le faire. Vous pouvez m’en croire. Laissez dormir vos couteaux et laissez faire. Vous ne serez pas déçu. Donnez-nous encore, allez, 10 ans, peut-être moins, et l’Europe entière tombera toute décérébrée dans vos bras puissants.
Je me souviens, il y a plus de 20 ans, du temps où le Monde était encore un journal, ou alors à ce moment-là, je ne me rendais pas compte, Jacques Lanzmann y avait publié une mise en garde. C’étaient les débuts de la télé câblée en France, l’expérience du câble a été tardive en France, elle date de 1982, donc oui, j’ai bien écrit, c’était il y a plus de 20 ans, et l’écrivain journaliste avait saisi là l’occasion pour pointer le danger, alors que n’existaient ni koh lanta, ni le bachelor, ni le big deal, ni l’île de la tentation, ni qui veut épouser mon fils, ni toutes ces niaiseries avec lesquelles on croit bon de nous détendre aujourd’hui les neurones. Ils sont aujourd’hui si détendus, merci, que les dégâts sont probablement irréversibles.
Certains pays non préparés, donc, écrivait Lanzmann en substance, qui vivent une vie différente, vont recevoir par le biais du câble, sans aucun filtre d’aucune sorte, ni aucune préparation préalable, des programmes parfois tangents. Aux habitants de ces pays-là, il ne sera pas difficile de faire admettre que nous sommes, nous fournisseurs occidentaux des programmes, des décadents dégénérés.
Combien Lanzmann avait raison. 20 ans et quelques plus tard, on peut dire qu’il n’a pas été difficile en effet de laisser croire à la moitié de la planète que nos femmes occidentales alanguies n’étaient que de viles pécheresses qui ne méritaient nul respect. Que notre culture pornographique était celle du diable. Avec nos programmes avilissants déversés anarchiquement vers des pays qui n’étaient pas préparés à les recevoir et auxquels nous nous sommes bien gardés de parler des codes parentaux protecteurs, nous avons tendu stupidement le bâton pour nous faire frapper, le couteau pour nous faire trancher la gorge.
Bravo.
J’exagère ?
J’ai regardé ce soir TF1 pour la première fois depuis 3 ans. J’y ai vu un banc de thons femelles psychiatriquement atteintes, pathétiquement siliconées, botoxées, suant minablement sous des tonnes de fond de teint, accrochées comme des arapèdes à un rocher au bras de mérous mâles se faisant passer pour leurs fils, le panel habituel censé illustrer la société moderne, le puceau, le caractériel, le nymphomane, ça se dit, pour un homme ?, oui, probablement, on peut quand on l’a entendu ânonner « J’arrive pas à choisir, je crois qu’il faut que je les essaye toutes », l’incontournable homosexuel, mérous liés seulement par l’indigence de l’émission et par une incommensurable bêtise, et qui salivaient de concert devant la grappe de poufs d’usage servies sur un plateau par la production.
Ma fille J. était enchantée de ma consternation.
Ca existe, Maman, il faut qu’on sache de quoi ça parle.
Tu te rends compte que si je meurs cette nuit, les dernières images que j’aurais eues de la vie seront cette stupidité monumentale ?
Ne meurs pas cette nuit, s’il te plaît, Maman, a gloussé ma blonde enfant en se blottissant contre moi, parce que toi, tu auras peut être dans les yeux les images les plus nulles du monde, mais moi, j’aurais dans les oreilles la phrase la plus triste.
Elle n’a pas dit « triste » en vrai, mais peu importe.
Me voilà tout de même rassurée.
La lobotomisation ne marche pas avec tout le monde.
Finalement, monsieur Oussama, je vais peut-être bien continuer à me moquer encore un peu, d’autant que si j’en crois Bernard Kouchner, cité dans le Monde du 28 octobre, dixit, "C'est pas Ben Laden qui détient les otages, c'est beaucoup plus compliqué que ça".

Rédigé par Victoria

Publié dans #La petite leçon de journalisme

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